2006 - Penser la justice des mineurs. Entre déconstruction et renouveau.

SAMEDI 25 MARS :

Matinée : la déconstruction avancée

• 9h00 accueil des participants

• 9h30 introduction du thème de la journée par Robert Bidart, Président de l’AFMJF, juge des enfants à Pau

• 9h50 « déconstruction aveugle ou ordonnée : vers un modèle de justice des mineurs dans les sociétés néo-libérales »

  Francis Bailleau, Directeur de recherche au CNRS, Paris
  Discutant : Hervé Hamon, Président du tribunal pour enfants de Paris

• 10h30 « Qui a peur de Virginia LOLF ? »

  Reynald Brizais , Maître de conférences à l’université de Nantes, auteur d’une recherche sur l’évaluation des missions des associations socio-éducatives
  M. Sablier, DRPJJ Languedoc-Roussillon, au sujet d’une expérimentation de la LOLF
  Discutant : Christophe Seys, juge des enfants à Vannes

• 11h30 « les raisins de la colère : bilan et

enseignements des évènements de Novembre 2005 »

  Denis Moreau, responsable de la Mission régionale d’appui Droit et Ville
  Denis Salas, magistrat et chercheur
  Christine Bartoloméi, vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants à Marseille
  Martine de Maximy, vice-présidente de l’AFMJF, présidente du tribunal pour enfants de Nanterre
  M. Dilain, maire de Clichy sous Bois (sous réserve)
  Didier Peyrat, vice-procureur à Pontoise (sous réserve)

Après-midi : le temps du renouveau

• 14h00 « Construire un avenir à visage humain pour les jeunes délinquants »

1. présentation du point de vue de l’AFMJF par Alain Bruel, ancien Président du tribunal pour enfants de Paris

2. table ronde :

. Patricia Rousson, directrice du centre d’action éducative de Nogent sur Marne

. M. Pernes, maire de Rosny sous Bois (sous réserve)

. Mme Castaignède, maître de conférences à l’université de Pau et des Pays de l’Adour

. Laurence Bellon, vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants à Lille

. Mme Fighiera-Casteu, présidente de la fédération nationale des assesseurs des tribunaux pour enfants

Animation : Charlotte Trabut, vice-présidente de l’AFMJF, vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants à Bobigny

• 15h30 « en attendant Godot : la réforme de la protection de l’enfance »

1. présentation du point de vue de l’AFMJF par Catherine Sultan, secrétaire générale de l’AFMJF et vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants à Créteil

2. table ronde :

 Claire Brisset, Défenseure des enfants (ou sa représentante)
 Valérie Pécresse, député
 Claude Roméo, directeur du service Enfance et Famille au Conseil général de Seine-St-Denis
 Françoise Neymarc, présidente du tribunal pour enfants de Lyon
 Jacques Argeles, vice-président de la FN3S, directeur de l’AGEP, Bordeaux

• 16h45 synthèse des travaux par Michel Rismann, trésorier de l’AFMJF , vice-président chargé des fonctions de juge des enfants à Valence et Laurence Delarbre, juge des enfants à Evry

• 17h15 intervention de M. Duvette, directeur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse

DIMANCHE 26 MARS :

• 10h00 rapport moral ; rapport financier

• 10h30 débats et votes

• 11h00 comité directeur élargi à tous les membres : approbation des orientations 2006 de l’AFMJF

Argumentaire de l’assemblée générale 2006

En quelques années, la justice des mineurs, comme modèle d’organisation, a subi de plein fouet un phénomène de déconstruction. De profondes modifications en sens souvent opposés, en ont altéré la représentation et parfois la mission. Parmi ces modifications nous pouvons citer :

• Le déclin de la spécialisation des magistrats de la jeunesse. Nous avions développé ce thème lors d’une précédente Assemblée générale. La fin du statut identifié de Président du Tribunal pour Enfants, la disparition répandue des sections mineurs des parquets, l’intervention dans la procédure pénale de magistrats non spécialisés comme le juge des libertés et de la détention (JLD), le déficit de formation partagée entre juges des enfants et partenaires éducatifs en sont des illustrations.

• L’irruption de la logique du Parquet. Dominée par la rapidité des réponses afin d’évacuer les stocks, cette logique est le pivot de divers changements :

développement de la 3ème voie avec notamment les mesures de réparation et le recours aux délégués du Procureur

accélération du traitement des procédures pénales avec en particulier l’instauration de la comparution à délai rapproché

vision pénale des comportements des mineurs de plus en plus répandue au détriment de la vision civile

approche pénale des dysfonctionnements familiaux comme l’illustrent les expériences des stages de parentalité en alternative à des poursuites pénales sur le fondement de l’art. 222-27 du code pénal

• L’effacement parfois souhaité de la justice des mineurs dans le domaine de la protection de l’enfance en danger. Ainsi, l’expérimentation lancée dans quelques départements vise clairement à limiter le champ d’action du juge des enfants en le privant du choix du service chargé de mettre en œuvre la mesure de protection décidée mais aussi à fermer la compétence de la PJJ dans le domaine civil à l’exception des mesures d’investigation.

• L’accroissement du champ de compétence du juge des enfants qui retrouve toutes les attributions du juge de l’application des peines( JAP). Bien qu’il s’agisse davantage d’un transfert des règles applicables aux majeurs, il y a là une reconnaissance de l’intérêt de la spécialisation pour les mineurs. Cette reconnaissance n’aura toutefois de réelle portée que si ce domaine de compétence s’imprègne des principes d’action de la justice des mineurs.

• Le rappel de l’importance de l’intervention du juge des enfants dans le cadre de la protection d’enfants victimes lorsqu’une procédure pénale est ouverte. Dans son rapport sur les mesures à prendre à la suite de l’affaire dite d’Outreau, la commission VIOUT a souligné la nécessaire place à donner à l’action du juge des enfants et l’intérêt d’articuler les logiques de la poursuite pénale contre l’auteur et de la protection des enfants.

• L’application de textes répressifs qui ne distinguent plus les mineurs des majeurs. Ainsi en est-il des nouvelles dispositions sur la récidive et la réitération. Alors que les débats parlementaires ne portent à aucun moment sur la question de la délinquance des mineurs mais exclusivement sur celle des majeurs, la loi nouvelle sera applicable devant les Tribunaux pour enfants. C’est méconnaître la réalité d’une part importante des mineurs délinquants qui à un moment de leur vie sont dans des passages à l’acte compulsifs avant de pouvoir fonctionner différemment. C’est oublier qu’une action éducative pour être efficace doit nécessairement disposer d’un temps suffisant que doit lui dégager la justice. Chaque juge des enfants a mémoire des mineurs qui après avoir beaucoup « remué » ont définitivement quitté le champ délinquant en ayant nécessité un accompagnement éducatif persistant et des ajustements sur mesure des sanctions au fil du temps.

• L’impact de la LOLF sur la justice des mineurs et son fonctionnement. Nous commençons à peine à mesurer l’impact d’une logique budgétaire sur nos pratiques. Ce texte présenté comme l’opportunité d’un progrès et d’une meilleure gestion des moyens, n’a pour l’instant manifesté ses effets que dans l’impossibilité de financer, en fin d’année, des mesures d’investigation ou de protection jeune majeur. On peut craindre que la justice des mineurs soit mise dans l’impossibilité d’exercer pleinement ses missions, au détriment des enfants et de leurs familles. Par ailleurs, les indicateurs de performance nécessaires pour évaluer les besoins et déterminer les enveloppes budgétaires, qui devront désormais être justifiées au premier euro, ont été élaborés dans l’urgence à partir des insuffisantes données statistiques existantes.

Le rappel de ces quelques modifications d’origine et de portée parfois contradictoires suffit à mettre en évidence la difficulté à penser la justice des mineurs. La tentation est grande de déplorer comme une fatalité cet état de fait et de rejoindre, selon les convictions de chacun, soit le camp des nostalgiques de l’âge d’or imaginaire de la justice des mineurs, porteuse de modèles audacieux de réponses civiles et pénales aux situations compromises des mineurs soit le camp des partisans du prêt-à-penser sommaire pour lesquels il n’est plus besoin de réponses judiciaires spécifiques pour les mineurs puisque tel est, selon eux, le sens de l’évolution du droit. Ce faisant, nous pouvons deviner la suite : les premiers en se repliant sur des conceptions sclérosées, mépriseront discrètement les fonctionnements médiocres des seconds qui perdront de vue ce qui garantit leur existence c’est-à-dire les valeurs particulières de la justice des mineurs.

C’est là une bien triste perspective mais ce n’est heureusement pas la seule.

Plutôt que d’assister à la déconstruction du modèle de justice des mineurs, l’AFMJF entend développer des arguments pour penser cette justice aujourd’hui et proposer des fonctionnements régénérés. Une telle réflexion doit naturellement intégrer des éléments du paysage sociologique actuel qui influent sur les réponses que la justice des mineurs doit apporter ou sur le contexte dans lequel elle intervient. Beaucoup d’observations et parfois d’énormes sottises ont été présentées à l’occasion, ces derniers mois, de divers évènements concernant notamment la justice des mineurs ou la situation des enfants, tels que les procès de pédophilie et les émeutes de la fin d’année 2005. Il nous semble cependant utile de présenter 3 aspects importants à prendre en compte pour notre pratique professionnelle comme pour repenser la justice des mineurs :

• Une révolution conservatrice tente de s’imposer au détriment des valeurs humanistes, celles-là même qui fondent la justice des mineurs. Le refus du changement que partagent autant certains jeunes figés dans leurs poses agressives grotesques que ceux qui, ne cherchant surtout pas à traiter les causes réelles se bornent en réponse à développer des solutions de maintien de l’ordre, de relégation et de confinement ou de nettoyage, en est un signe. Les renvoyant dos à dos, un chroniqueur à propos de la photo parue dans la presse du jeune homme ayant poignardé son professeur à Etampes, a eu cette phrase terrible : « leur pose montre juste d’où ils viennent et où la politique des gouvernements à venir les laissera ». Le repli sur soi dans ses versions communautaires, religieuses, géographiques ou sociales avec son miroir, le refus de l’autre, en constitue une autre illustration. Les sanctions envisagées contre les parents d’enfants délinquants ou seulement difficiles, le gommage progressif de la différence de traitement entre mineurs et majeurs délinquants, le clivage infondé entre les mineurs selon qu’ils sont ou non délinquants, l’illusion de la seule contention comme remède se comprennent bien dans un projet de révolution conservatrice. La menace est d’autant plus sérieuse que pour prospérer cette révolution conservatrice utilise la peur comme moteur et développe des solutions largement imprégnées de pensée magique.

• La crise de la transmission est un élément majeur de notre société. Lorsqu’on évoque cette crise, on pense par erreur ou par calcul à une crise des valeurs : « les jeunes n’ont plus de valeurs, n’ont plus de repères. Nous sommes cernés par les sauvageons ou par la racaille (selon les époques) ». Tels sont les lieux communs développés ici ou là. Or, dans les cabinets des juges des enfants, ce ne sont pas tant les valeurs qui sont remises en cause que la capacité de transmission de celles-ci d’une génération à l’autre.

Il y a quelques années, Jean BAUDRILLARD a publié un article intitulé « Le continent noir de l’enfance ». Il expose l’idée que l’enfance et l’adolescence deviennent progressivement un espace voué par son abandon à la dérive marginale, une anomalie à combattre dès lors que l’adulte peut s’en passer. Il ajoute que l’accélération du temps réel va à l’encontre du temps de procréation et d’élevage, de la longue durée en général qui est celle de l’enfance humaine. Il termine en indiquant que si l’on y prête garde, on débouchera sur une société où l’enfant n’ayant plus besoin de la transmission de l’adulte et l’adulte ayant réduit les besoins du temps au temps réel vont devenir ennemis l’un de l’autre. Telle peut être en effet la projection d’une société dont les membres perdraient leur capacité de transmission.

Cette analyse se retrouve également dans la description de l’émergence d’un « individu privatisé » selon l’expression de C. CASTORIADIS, qui pourrait supplanter l’individu citoyen : là où celui-ci se construit à partir de normes pré-établies pour les transcender, accéder à la notion de liberté et acquérir à son tour la capacité de transmission, l’individu privatisé est entretenu dans l’idée qu’il doit se fonder lui-même et pour cela puise dans un self-service normatif. C’est le dogme du sujet-Roi, bien connu des spécialistes des questions d’enfance, qui conduit inexorablement à la dé-Référence. Comment faire tenir auprès d’un individu consommateur, auto-fondé ou qui pense l’être, une intervention de la puissance publique, comme celle du juge des enfants fondée sur des normes définies pour l’ensemble de la communauté humaine, comme le sont celles relatives à l’éducation et à la protection de l’enfant.

• La crise du statut de l’enfant est également un élément fondamental. « Aujourd’hui, le risque le plus important n’est plus de considérer l’enfant comme un irresponsable, il est de lui donner trop de responsabilités, de le considérer comme un alter ego, nous délestant de nos responsabilités à son égard et, notamment de notre devoir d’éducation. C’est le cas lorsque la responsabilité pénale pour les mineurs est exigée ou lorsque l’enfance de l’enfant est oubliée dans la procédure judiciaire » a écrit D. YOUF dans un article sur le statut juridique de l’enfant. Nous devons en effet prendre en compte le risque de désagrégation du concept d’enfant qui se repère dans la dichotomie grandissante entre l’être vulnérable et fragile, objet de sacralisation, et l’être menaçant, incontrôlable et irrécupérable, objet de répulsion. Cette dichotomie se traduit sémantiquement :l’être fragile et vulnérable, c’est l’enfant tandis que l’être malfaisant et dangereux, c’est le jeune. Dans les esprits, cette distinction s’installe avec d’une part, la sacralisation de l’enfant, objet de protection renforcée et d’autre part, la répulsion envers le jeune, objet de nouvelles formes de bannissement.

Le risque de morcellement du statut de l’enfant peut également résulter de nouvelles définitions des âges de l’homme. Le découpage rassurant des âges (enfance, adolescence, maturité, vieillesse) avec leurs fonctions démocratique, économique, sociale et culturelle, a volé en éclats sous l’effet de divers facteurs pour laisser place à des catégories beaucoup moins cloisonnées. En France, le rapport Lazerges-Balduyck a sensiblement fait pencher le débat vers la sauvegarde du statut générique unique de l’enfant. Pour combien de temps ? En Italie, notre collègue Luigi Fadiga, alors président du Tribunal des Mineurs de Rome, abordait la question de l’enfant au centre des grands changements sociaux en indiquant que le groupe social des enfants perdait de la valeur à mesure que le nombre et la nécessité d’enfants diminuaient.

Ces éléments pris en compte, nous devons pour penser la justice des mineurs aujourd’hui mettre en avant les valeurs spécifiques qui peuvent la fonder :

• Le temps et la continuité dans l’intervention du juge des enfants

• La dialectique nécessaire du judiciaire et de l’éducatif

• La spécialisation réelle et reconnue des acteurs judiciaires

Pour nous, Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille, penser la justice des mineurs c’est faire le constat de sa déconstruction avancée, dépasser ce constat et s’engager sur le temps du renouveau.