#TDM
Muriel EGLIN, vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants à Bobigny
Lorsqu’on évoque les enfants victimes, c’est de plus en plus au procès pénal du responsable des violences que l’on fait référence. Or l’intervention de la justice ne se limite pas à ce procès pénal qui, après tout, a pour objectif premier de statuer sur la culpabilité des personnes mises en cause.
C’est devant le juge des enfants, juge professionnel, spécialement formé aux questions de jeunesse, que se révèle pleinement la fonction protectrice de la justice :
le juge des enfants s’attachera avant tout à la personne de l’enfant, aux moyens à mettre en œuvre pour assurer sa protection et à son devenir. Aussi, son intervention prendra en compte non seulement les violences subies, mais aussi le contexte familial dans lequel elles se sont produites, l’existence ou non de poursuites pénales contre l’auteur, les capacités de l’enfant à se remettre ou au contraire sa fragilité particulière, les capacités présentes et à venir des parents à assurer sa protection.
Il devra garder l’œil ouvert sur toute évolution de sa situation. Il considérera l’enfant dans sa personne et non uniquement au travers des actes qu’il a subis ou qu’il a commis. C’est là le fondement de la double compétence civile et pénale du juge des enfants français, qui intervient également pour répondre, par des mesures éducatives ou par des sanctions pénales prononcées par le tribunal pour enfants, aux actes de délinquance commis par les mineurs.
L’intervention du juge des enfants présente une particularité par rapport aux autres interventions judiciaires civiles : elle s’effectue sur un mode inquisitorial et s’inscrit dans le temps, ce qui lui permet d’avoir une vision globale et dynamique de la situation d’un enfant et de sa famille (I).
Toutefois, il ne faut pas s’y tromper : le juge des enfants n’est pas une super-assistante sociale : la procédure judiciaire offre aux parents comme aux enfants des garanties de respect de leurs droits (II).
Dans ce cadre, le juge des enfants prend ses décisions dans l’intérêt de l’enfant, essaye de le maintenir au domicile de ses parents tant que c’est possible et recherche l’adhésion de la famille aux mesures qu’il envisage (III).
#1#1 - L’intervention civile du juge des enfants : une juridiction civile bien particulière adaptée à la problématique des enfants en danger
1.1 Le rôle inquisitorial du juge des enfants
L’intervention du juge des enfants n’est pas limitée aux situations de maltraitance ou de violences sexuelles. Certes, lorsque de tels actes sont commis au sein de la famille, une procédure d’assistance éducative sera généralement ouverte . Toutefois, le juge des enfants est appelé à intervenir dès lors que la santé, la sécurité ou la moralité d’un enfant sont en danger, ou que ses conditions d’éducation sont gravement compromises. C’est le cas par exemple des enfants négligés au point de développer une maladie physique, des enfants gravement perturbés par des secrets ou dysfonctionnements de filiation ou encore par la maladie mentale de leurs parents. Très souvent, le danger est multifactoriel.
La notion de faute des parents n’est donc pas au centre des débats, c’est le résultat sur la personne de l’enfant et l’incapacité des parents à accepter une aide appropriée qui comptent. Aussi, le juge des enfants n’intervient-il pas sur assignation des services sociaux et n’est pas appelé à arbitrer une demande de placement dont les parents devraient se défendre : il prend en compte la globalité d’une situation qui lui est apportée par le procureur de la République (parce que l’ordre public familial est en jeu), par l’enfant lui-même ou la personne qui l’a recueilli ou encore par les parents.
Le plus souvent, le juge est saisi par le procureur, lui-même informé par les services sociaux, voire par l’hôpital ou l’école. Le procureur suivra toute la procédure et donnera régulièrement son avis sur la situation et les mesures à prendre pour protéger l’enfant. Les enfants qui saisissent directement le juge des enfants d’une demande de protection sont souvent des adolescents en conflit avec leur famille. Enfin, les parents qui saisissent le juge des enfants connaissent souvent des conflits de couple si graves que leurs enfants en sont gravement meurtris, ou cherchent à obtenir une évaluation indépendante lorsqu’ils sont en conflit avec des services sociaux qui envisagent un signalement judiciaire.
En effet, les pouvoirs inquisitoriaux du juge des enfants lui permettent d’organiser une évaluation de la situation familiale de manière tout à fait indépendante des services sociaux qui ont pu transmettre le signalement à la justice. Il mandatera un service dirigé ou financé par la protection judiciaire de la jeunesse qui relève du ministère de la justice, afin de réaliser une enquête sociale ou encore une évaluation pluridisciplinaire : un éducateur, un assistant social et un psychologue interviendront et pourront également avoir recours à un psychiatre ou à un médecin. Cette évaluation indépendante peut durer jusqu’à six mois, ce qui permet d’évaluer les potentialités de la famille et de l’enfant sur lesquelles s’appuyer pour l’avenir, ou même de laisser le temps à des parents en difficulté de se reprendre et de démontrer leur capacité à prendre en charge leur enfant. Naturellement, en cas de situation grave, le juge des enfants a tout à fait la possibilité, sans attendre les résultats de l’évaluation, de prendre des mesures de sauvegarde urgente de l’enfant.
1.2. - Une intervention caractérisée par son inscription dans le temps
On l’aura compris, l’intervention du juge des enfants a vocation à être temporaire, le temps que les parents défaillants reprennent la situation en main et bénéficient des soins et des conseils adaptés. Aussi, le juge des enfants doit-il fixer la durée de son intervention pour que conformément aux prescriptions de la Convention internationale des droits de l’enfant, elle soit périodiquement réévaluée : elle ne peut dépasser deux ans , mais peut être renouvelée après une nouvelle audience. Si les difficultés nécessitent un placement de l’enfant, qu’elles persistent à long terme sans espoir d’amélioration ou si les parents se désintéressent totalement de leur enfant, une délégation ou un retrait de l’autorité parentale pourront être envisagés, mais seront prononcés par un autre juge : le juge aux affaires familiales ou le tribunal de grande instance.
Dans le cas d’un retrait de l’autorité parentale, une adoption pourra être prononcée. Toutefois, ces situations sont en pratique extrêmement rares : peu de retraits d’autorité parentale sont prononcés pour ce motif et peu de familles sont disposées à adopter des enfants plus âgés. Aussi, il arrive que le juge des enfants intervienne à long terme, renouvelant régulièrement le placement qui protège et sécurise l’enfant ; le travail éducatif vise alors à permettre aux parents de rester présents, ne serait-ce que de manière symbolique, auprès de leur enfant.
Mais le temps qui caractérise l’intervention du juge des enfants est aussi celui de la continuité. En effet, contrairement au juge aux affaires familiales qui intervient en cas de séparation des parents pour trancher une fois pour toutes un conflit entre les titulaires de l’autorité parentale, le juge des enfants ne referme pas son dossier lorsqu’il a rendu une décision : il est également chargé de veiller à sa bonne mise en œuvre par les services sociaux du département, de statuer sur les difficultés qui pourraient opposer les parents aux services sociaux et d’adapter constamment sa décision à l’évolution de la situation de l’enfant et de sa famille.
Pour cela, il reçoit un rapport éducatif à chaque événement important et en tous cas, au moins une fois par an. Les parents et le mineur peuvent également signaler toute difficulté ou formuler toute nouvelle demande en cas d’élément nouveau. Cela implique que le juge des enfants sache rester en lien constant avec les services chargés de la mise en œuvre de la mesure et qu’il sache également être à l’écoute des familles et des enfants. Cela permet également au juge de voir le résultat de ses décisions et d’en tirer les enseignements, de connaître son secteur d’intervention et les professionnels qui y travaillent.
Naturellement, le même investissement ne sera pas nécessaire pour toutes les situations, chaque juge des enfants assurant en moyenne le suivi de 529 enfants (sans compter ceux qu’il juge pour un acte de délinquance).
#2#2. - Une procédure judiciaire à part entière, mais adaptée aux besoins des enfants
2.1. - Les garanties de la procédure civile en raison de la mise en jeu des libertés individuelles
L’intervention du juge des enfants obéit aux principes de la procédure civile : principe du contradictoire (tous les éléments susceptibles d’être pris en compte par le juge doivent être portés à la connaissance des parties qui doivent être en mesure de formuler leurs observations), droit d’être assisté d’un avocat, droit de formuler des demandes, droit d’obtenir une décision motivée en droit et en fait, droit de faire appel des décisions pour que l’affaire soit rejugée par la cour d’appel.
La procédure est orale, aussi l’audience revêt-elle une importance particulière. Comme elle concerne des enfants et des parents en situation difficile, elle a été adaptée à leur vulnérabilité : l’audience se tient dans le bureau du juge, de manière très informelle, le juge ne porte pas de costume d’audience et chacun est appelé à s’adresser à lui directement (pour la place particulière accordée aux enfants, voir 2.2). L’audience devient ainsi un lieu de débat sur l’état et le devenir de l’enfant, sur ce que dit la loi concernant les droits et devoirs de chacun, sur les engagements que les parents peuvent prendre, sur l’objectif, les modalités et la durée des mesures qui vont être prises.
Dès qu’il est saisi, le juge doit informer les parents de son intervention et de l’ensemble de leurs droits. Il doit ensuite les convoquer. En pratique, il leur demandera de venir accompagnés de leurs enfants. Si une mesure de placement en urgence a été prise, l’audience doit avoir lieu dans les quinze jours faute de quoi le placement s’interrompt. La décision est en principe prise à l’issue de l’audience et immédiatement expliquée aux parents et aux enfants, mais le juge peut s’accorder un temps de réflexion et notifier la décision par écrit ultérieurement.
La procédure d’assistance éducative française a beaucoup été critiquée pour son manque de transparence. En effet, jusqu’en 2002, les parents et les enfants concernés n’avaient pas d’accès direct à leur dossier : seul leur avocat pouvait le consulter sans pouvoir en prendre copie. Comme très peu de parents et d’enfants demandaient l’intervention d’un avocat, l’information sur le contenu du dossier se faisait uniquement par le juge, au moment de l’audience, ce qui plaçait les parents en situation de particulière vulnérabilité face aux services sociaux auteurs d’un signalement et au juge dont ils pouvaient penser qu’il s’était déjà fait une opinion.
Un décret du 15 mars 2002 est venu changer cette situation et permettre aux parents et aux enfants, accompagnés d’un parent ou d’un avocat désigné à la demande du juge des enfants, de consulter leur dossier. Les avocats peuvent également se faire délivrer copie du dossier.
2.2 - La place particulière accordée aux enfants
L’assistance éducative est la seule procédure où les mineurs capables de discernement ont la capacité juridique : ils ne sont plus représentés par leurs parents et peuvent saisir le juge, formuler toute demande et faire appel des décisions rendues.
Les enfants peuvent demander à être assistés d’un avocat. Leurs parents ou leur gardien peuvent aussi formuler cette demande. En pratique, le juge demandera au Bâtonnier d’en désigner un. Les frais seront pris en charge par l’Etat lorsque les ressources des parents sont insuffisantes. Dans près de la moitié des tribunaux de grande instance se sont créés des groupements d’avocats spécialisés dans les affaires relatives aux mineurs, qui ont bénéficié d’une formation spécifique au droit des mineurs et à la fonction particulière d’assistance de l’enfant dans une procédure où il peut formuler lui-même ses demandes. Ces avocats accompagnent les mineurs tout au long de la procédure, et pas seulement pour l’audience devant le juge. Pour les enfants qui n’ont pas la capacité de discernement, le juge des enfants pourra décider, s’il existe un conflit d’intérêts entre les parents et l’enfant, de désigner un représentant de l’enfant, l’administrateur ad hoc, qui fera valoir le point de vue de l’enfant et son analyse de l’intérêt de l’enfant.
Les enfants capables de discernement doivent obligatoirement être entendus et le juge ne peut s’en dispenser. Le juge a également la possibilité d’entendre l’enfant seul, afin que son droit à exprimer son opinion, tel que précisé par l’article 12 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, reçoive une traduction concrète. Il peut aussi tenir une partie des débats en dehors de sa présence, par exemple lorsque sont évoqués des conflits parentaux dont il est important de les épargner. En pratique, il est fréquent que les juges des enfants demandent aux parents de venir accompagnés de leurs enfants, même lorsque ceux-ci n’ont pas encore la capacité de discernement : l’audience est suffisamment informelle et adaptée aux échanges avec les enfants pour permettre aux enfants, sinon de s’exprimer, tout au moins d’entendre que la justice se soucie de leur situation et prend des décisions pour les protéger. L’expérience montre que la rencontre avec le juge est un moment très important pour les enfants, même très jeunes, qui identifient très vite le lieu où se prennent les décisions.
Le rôle du juge des enfants est particulièrement exigeant puisque sa spécialisation implique qu’il développe des connaissances dans le domaine des mineurs, un engagement professionnel et une expérience du travail au long cours en lien avec des professionnels de l’éducation et de la psychologie.
#3#3 - La mission de protection du juge des enfants
3.1. - Les principes qui guident l’action du juge
Comme on l’a vu, le juge des enfants n’intervient que lorsqu’une situation de danger est établie. Le code civil rappelle ensuite l’obligation du juge des enfants de statuer « en stricte considération de l’intérêt de l’enfant », ce qui correspond exactement aux exigences de la Convention internationale des Droits de l’Enfant. Toutefois, la loi française ne définit pas l’intérêt de l’enfant et laisse au juge le soin de déterminer le type d’intervention adapté. Elle le guide toutefois par d’autres principes.
En premier lieu, le juge doit toujours s’efforcer de rechercher l’adhésion de la famille à la mesure qu’il envisage. Cela signifie qu’il va chercher à obtenir l’engagement de la famille à se soumettre à la loi, à la convaincre ainsi du bien-fondé de son intervention. Les conditions d’intervention peuvent être discutées voire, dans certains cas, négociées avec les parents. Ainsi, le juge peut éviter l’usage de la force ou de la menace et aider les parents à cheminer dans leur compréhension des besoins de leur enfant ainsi que dans leur capacité à y répondre. C’est l’organisation particulière de l’audience et la liberté de parole qui y règne qui permettent au juge de recourir à cette méthode. Bien évidemment, cela n’empêche pas le juge d’imposer un placement que les parents refusent, ni même d’avoir recours à la force pour protéger les enfants si la gravité de la menace le justifie. Mais l’expérience montre qu’une intervention acceptée est bien plus efficace qu’une intervention imposée.
En second lieu, la loi impose au juge des enfants de maintenir l’enfant au domicile tant que c’est possible. Là encore, il s’agit d’une prescription de bon sens et de respect des droits et de l’intérêt de l’enfant, parce que la solution la plus radicale n’est pas toujours la plus protectrice et que la séparation est bien souvent une épreuve pour l’enfant qui perd ses repères, peut vivre son placement dans la culpabilité, notamment en cas de violences.
Mais le maintien au domicile ne peut être ordonné à tout prix ! Il est parfois nécessaire d’organiser un placement, dans une famille d’accueil, un établissement collectif d’accueil d’enfants, auprès d’un tiers digne de confiance ou même en internat scolaire. Dans ce cas, le juge doit organiser les visites et éventuels retours au domicile de fin de semaine, sauf, encore une fois, si la gravité du danger commande de suspendre toute rencontre, ce qui demeure exceptionnel.
Les parents dont l’enfant est placé conservent l’exercice de l’autorité parentale dans la mesure de ce qui est compatible avec le placement. Certains établissements expérimentaux tentent d’appliquer pleinement ce principe en permettant aux parents de venir dans l’établissement et en les aidant à s’occuper de certains gestes du quotidien auprès de l’enfant (soins, accompagnement scolaire…).
3.2. - L’objectif de protection de l’enfant et de construction de son avenir au travers de deux exemples
3.2.1. - L’enfant victime de violences au sein de sa famille
Tous les enfants qui comparaissent devant le juge des enfants n’ont pas été victimes de sévices, loin de là. Toutefois, ces situations justifient souvent un traitement particulier en raison de l’existence simultanée de plusieurs procédures : protection de l’enfance, procédure pénale contre l’auteur des faits, procédure de divorce ou de séparation qui relève du juge aux affaires familiales.
Il est alors essentiel que chaque juge ait des informations sur le déroulement des procédures, afin de garantir la protection de l’enfant. Par exemple, lorsqu’un enfant est victime d’une agression commise par son père vivant au domicile, il est nécessaire de prendre une décision rapide de protection. Il pourra s’agir d’un placement par le juge des enfants, mais aussi d’une interdiction au père de s’approcher du domicile familial formulée par le juge d’instruction. Dans une telle hypothèse, il est également important de savoir si la mère a pris position, par exemple en demandant au juge aux affaires familiales l’expulsion de son conjoint dans le cadre d’une procédure de divorce ou si au contraire, elle soutient son mari contre son enfant. Le parquet joue alors un rôle essentiel de transmission de l’information puisqu’il a accès à tous les dossiers. Toutefois, seuls les documents nécessaires à la compréhension de la situation doivent être transmis, à l’exclusion notamment de ceux qui concernent d’autres membres de la famille, non concernés par l’agression.
Lorsque le juge des enfants aura ordonné une enquête sociale et que le juge d’instruction aura reçu des rapports d’expertise psychiatrique ou psychologique des protagonistes, il est important que ces éléments puissent être communiqués afin d’éviter la répétition des investigations, traumatisantes pour les enfants.
Au moment du jugement, le tribunal doit pouvoir connaître la situation de l’enfant : est-il confié à un tiers, soutenu par sa famille, a-t-il des frères et sœurs ? Ces éléments pourront être pris en considération pour le prononcé d’une peine contre l’auteur. Lorsque ce dernier a été condamné à une peine d’emprisonnement, il est important que le juge de l’application des peines, qui doit statuer sur des permissions de sortir ou une libération anticipée, soit en contact avec le juge des enfants afin de s’assurer de la protection de l’enfant et de savoir par exemple si un travail thérapeutique familial a été entrepris, dont il peur être tenu compte dans les décisions relatives à l’incarcération.
Enfin, lorsque la personne soupçonnée d’agressions n’est pas condamnée faute de preuve, cela n’oblige pas le juge des enfants à fermer son dossier : son critère d’intervention est le danger, qui peut résulter d’autres circonstances que les violences alléguées qui n’ont pu être établies. Il pourra par exemple maintenir un placement s’il estime que le retour de l’enfant en famille présente un danger en raison des relations familiales très perturbées ou du rejet dont l’enfant est victime. Il pourra aussi mandater un service éducatif pour écouter l’enfant et l’aider à vivre malgré la situation difficile, ou demander aux parents d’entreprendre une thérapie familiale pour rétablir les conditions d’un exercice adéquat de l’autorité parentale.
3.2.2. - L’enfant délinquant
Il existe une tendance actuelle à réduire les difficultés des enfants et des adolescents à des problématiques de « mineurs auteurs » et de « mineurs victimes ». Cette conception réduit l’enfant au symptôme qu’il présente et ne discerne pas, derrière l’enfant délinquant, l’enfant enfermé dans le piège de sa propre délinquance, qui le conduira à l’échec personnel et à être une cause récurrente de trouble social.
La double compétence du juge des enfants va à l’encontre de cet esprit et permet de considérer l’enfant comme un tout. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la compétence du juge des enfants en matière de protection est née de son intervention pénale : les premiers juges des enfants ne connaissaient que les mineurs délinquants et, pour traiter des difficultés et souffrance graves nécessitant l’intervention judiciaire, ils avaient parfois recours à un « délit prétexte », essayant de retrouver dans le parcours du mineur un délit permettant de justifier l’intervention d’un éducateur. Aujourd’hui encore, nombre d’actes délictueux commis par des mineurs sont l’expression d’une souffrance, le résultat d’une désorganisation familiale que l’intervention du juge des enfants va chercher à traiter.
La jeunesse et la vulnérabilité des mineurs est prise en compte dans le cadre pénal, qui offre une protection particulière au recueil de la parole de l’enfant : les mineurs sont obligatoirement assistés d’un avocat, qui sera rémunéré sur les fonds publics de l’aide juridictionnelle, et leur interrogatoire par les services de police est enregistré. Les parents sont également entendus et informés de toutes les décisions prises pour le mineur.
Dans le cadre d’une procédure pénale, l’audition de l’enfant a un triple objectif : établir les faits, recueillir des éléments d’information sur le parcours du mineur et sa famille, l’aider à accéder à un sentiment de culpabilité et de responsabilité à l’égard de la société, de la victime et de sa propre personne. Ce dernier objectif se traduit également dans la mise en œuvre des mesures éducatives et sanctions prononcées. Le juge des enfants et le tribunal pour enfants disposent d’une palette extrêmement large de mesures éducatives et de peines, qui vont de l’avertissement à la peine d’emprisonnement, en passant par l’intervention d’un éducateur à domicile, le placement dans divers types de centres éducatifs, le travail d’intérêt général et l’amende.
Pour être adaptée, la réponse judiciaire doit donc être comprise et avoir du sens pour le mineur, pour ses parents, pour la victime et pour la société. La mesure de réparation est la meilleure illustration d’une réponse judiciaire adaptée : pratique reconnue par la loi en 1993, elle allie l’objectif de réparation du dommage causé à la victime à celle du trouble à l’ordre public et permet surtout au mineur d’assumer sa responsabilité par une démarche positive : il peut s’agir de réaliser un travail, de rédiger une lettre d’excuse ou de bénéficier d’un stage de sensibilisation à la sécurité routière, aux dangers de la drogue ou à la connaissance des institutions publiques, selon la difficulté qui a été repérée.
Les évolutions législatives des dernières années ont aggravé la répression à l’égard des mineurs, en réponse à une demande sociale de fermeté : d’une attention principalement portée sur la personnalité du mineur délinquant, le curseur se déplace vers une prise en compte de plus en plus importante de la gravité des faits, voire du trouble à l’ordre public causé par le comportement du jeune. Le Comité des Nations Unies chargé de veiller au respect de la Convention internationale des droits de l’enfant l’a relevé et a fait part de ses inquiétudes, lors de l’examen du dernier rapport de la France, en 2004. Or, entendre le mineur délinquant, c’est aussi savoir s’écarter du rapport de force avec le mineur afin d’éviter de produire un sentiment d’injustice ou des attitudes de provocation, sources d’escalade dans les comportements délinquants.
Le rôle des magistrats dans l’application de ces textes est alors déterminant : le procureur et le juge des enfants doivent toujours, selon les principes de l’ordonnance du 2 février 1945 (déjà modifiée une vingtaine de fois depuis 1945), privilégier les mesures éducatives. Lorsque des sanctions pénales sont prononcées , il appartient au juge des enfants de leur donner une dimension éducative et de garantir la cohérence et la continuité de la prise en charge du mineur. Tâche difficile, avec des adolescents en rupture. C’est pourquoi l’ordonnance de 1945 garantit cette continuité par l’intervention du juge des enfants à tous les stades de la procédure , de l’enquête initiale à l’exécution de la peine, en passant par le prononcé d’une mesure éducative ou d’une peine .
Le juge des enfants s’est même vu récemment attribuer le suivi des mineurs condamnés à une peine d’emprisonnement ferme, qui était auparavant de la compétence des juges de l’application des peines, dans l’objectif de voir développer le recours aux aménagements de peine, qui permettent de réduire la durée de l’emprisonnement dans le cadre d’un projet de réinsertion.
#4#Conclusion
Le droit français a créé un juge pour les enfants, chargé de traiter, dans le cadre d’une procédure civile ou pénale, les difficultés les plus graves que les mineurs peuvent rencontrer. Il a donné aux enfants des droits spécifiques (capacité juridique, droit à être assisté d’un avocat, droit de participer à l’audience et de s’exprimer, droit d’exercer des recours) qui visent à garantir qu’ils soient effectivement entendus, en conformité avec les exigences de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Cette mission difficile, le juge des enfants ne peut l’exercer que s’il est en permanence à l’écoute, non seulement des enfants, mais aussi de leurs parents et de tous les intervenants dans la vie de l’enfant. Il est fondamental que le juge des enfants n’oublie pas son rôle de contre-pouvoir face à l’intervention des services sociaux et garde à l’esprit que la protection des enfants passe par le respect des droits des parents.