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Depuis plusieurs années, une avalanche de réformes répressives s’abat sur le droit pénal des mineurs. Ces dernières véhiculent un prétendu réalisme, nourri d’arrières pensées populistes et focalisées sur l’acte délictueux. Elles réduisent la problématique de l’adolescent délinquant à la seule comparaison des avantages escomptés et des peines encourues.
Le projet de loi sur la prévention de la délinquance propose un nouveau projet de société, en confiant à l’Education Nationale, aux services sociaux, aux transporteurs publics et à la médecine (protection maternelle et infantile et psychiatrie) une mission spécifique de prévention de la délinquance.
Le maire, pivot du dispositif, coordonnerait l’ensemble des interventions sociales et recevrait des informations relevant de l’intimité de la vie privée sur toutes les familles aidées de sa commune.
Il lui serait demandé de policer le comportement des enfants et des familles par l’intervention d’un Conseil pour les droits et devoirs des familles et par un pouvoir de proposer des mesures de tutelle, des contrats de responsabilité parentale, des stages parentaux, le tout sous la menace d’informer les autorités judiciaires.
S’agissant de la délinquance des mineurs, des procédures réservées jusqu’à maintenant aux majeurs seraient désormais étendues aux mineurs : la composition pénale en dépit de leur incapacité juridique à contracter et la comparution immédiate malgré l’inutile violence exercée sur des personnalités encore immatures. Les possibilités de placer des adolescents de 13 à 16 ans en détention provisoire seraient élargies, de nouvelles sanctions éducatives créées et la liberté des juges des enfants de prendre une décision adaptée à la situation de chaque jeune limitée.
Une fois de plus, pour justifier une réforme, le gouvernement invoque la prétendue impunité des mineurs et l’aggravation de leurs comportements. Le taux de réponse pénale à leurs actes étant supérieur à celui réservé aux adultes, cette affirmation est tout à la fois fausse et dangereuse.
L’AFMJF s’inquiète de cette politique d’affichage sans efficacité sur le terrain, de pénalisation à outrance des réponses sociales et d’abandon progressif d’une justice des mineurs spécialisée.
I/ Une exploitation récurrente de la thématique de la délinquance des mineurs, sans souci de la pérennité des orientions, ni de leur cohérence.
Le droit pénal des mineurs a déjà été réformé à plusieurs reprises :
Après les réformes de 2002 (Perben I), de 2004 (Perben II), et de 2005 (Loi de décembre 2005 sur la récidive), la loi pour l’égalité des chances de mars 2006 a inventé “le contrat de responsabilité parentale” et confié aux maires une responsabilité dans le traitement des incivilités.
Alors même que les décrets d’application ne sont pas encore intervenus, le ministre de l’intérieur présente un nouveau projet de loi relatif à la prévention de la délinquance qui modifie, et parfois contredit, les dispositifs précédents qui n’ont fait l’objet à ce jour d’aucune évaluation.
Cette succession de lois ponctuelles recherchant essentiellement des effets d’annonce aboutit à rendre illisible l’ordonnance de 1945, à bousculer ses principes et à faire croire que des mesures existantes (réparation et placement), rebaptisées ou ordonnées dans un autre cadre, seraient des nouveautés.
L’accélération législative interdit toute évaluation de la pertinence de chaque réforme.On ne s’inspire d’aucune analyse approfondie des évolutions particulières à la délinquance des mineurs, pas plus qu’on ne cherche à connaître les effets des orientations déjà prises et la suffisance ou non des moyens déployés sur le terrain. Or l’on sait que les mesures éducatives ordonnées ne sont pas toujours mises en œuvre dans des délais raisonnables ; l’engorgement de certaines juridictions aboutit à des retards de jugement alors même qu’il est devenu difficile, dans un contexte social de chômage de masse, de s’appuyer sur le monde du travail pour favoriser la réinsertion des jeunes.
Cette surenchère législative, déconnectée du réel s’adresse à un citoyen amnésique, qui n’est supposé sensible qu’à la ré-activation permanente du sentiment de peur !
II/ Un projet reposant sur la pénalisation des comportements des familles et des mineurs et sur un manque de perspective d’avenir.
La crise des banlieues de novembre 2005 a montré le rôle central et positif que pouvait avoir le maire, autorité la plus proche du terrain et garant du lien social. A ce titre il est légitime qu’il soit impliqué dans la politique de prévention.
Encore faut-il que sa place et sa mission n’en soient pas perverties et qu’une juste distance soit respectée dans la coordination de son action et de celle de ses partenaires sociaux, administratifs et judiciaires.
A défaut de cette condition, il devient “un père fouettard”, un délégué du procureur ou un auxiliaire de police perdant l’autorité morale dont il devrait disposer et qui transcende sa couleur politique. Il se réduira à une fonction de justicier bien éloignée de son rôle de médiateur des habitants de sa commune.
C’est ce qui risque de se produire si le texte du ministère de l’intérieur est avalisé par la représentation nationale ; son article 5, manifestement remanié à plusieurs reprises, ne permet toujours pas de savoir si le coordonnateur désigné par le maire est choisi parmi les personnes intervenant déjà dans la famille ou en dehors d’elles ni quelles informations, nécessaires à l’exercice de la compétence du maire doivent être portées à sa connaissance en dépit du secret professionnel.
Le projet présenté par le ministre de la famille sur la protection de l’enfance définissait les contours et les objectifs du partage de l’information entre intervenants de terrain ; il ne s’écartait de la règle du secret professionnel que pour améliorer la protection de l’enfant et le suivi social des familles en difficulté.
Tout au contraire le ministre de l’intérieur s’oriente vers une conception élargie du secret professionnel, qui devient un instrument de délation et permet la constitution de fichiers municipaux des enfants et familles en grande difficulté sans aucune garantie pour les citoyens et d’une utilité douteuse. L’objectif affiché de ce partage étant la prévention de la délinquance, les bénéficiaires de toute action sociale (aide financière même ponctuelle, travailleuse familiale, mesure éducative…) seraient placés au rang de personnes qu’il convient de surveiller parce qu’elles présentent des risques particuliers. Une telle approche risque de ruiner la confiance indispensable aux travailleurs sociaux admis dans l’intimité de la vie privée.
Dans le projet, les troubles du comportement de l’enfant ou l’absentéisme scolaire sont considérés comme les révélateurs d’une dangerosité, et non plus comme un signe justifiant une démarche de protection de l’enfance.
Dans le contrat de responsabilité parentale les difficultés éducatives sont analysées comme des carences de l’autorité parentale justifiant la mise sous contrôle des familles, susceptibles de sanctions pécuniaires.
Ces orientations traduisent toutes une défiance à l’encontre de la capacité des individus concernés à s’approprier le bénéfice des mesures d’aide éducatives ; elles sont guidées par la seule recherche de sécurité publique, au détriment du respect des personnes.
Elles viennent également disqualifier l’intervention des travailleurs sociaux. Et de manière plus générale de tous les acteurs du champs social.
III/ Rapprochement de la justice des mineurs de celle des majeurs
L’avant projet de loi relatif à la prévention de la délinquance exprime une vision exclusivement policière de l’ordre public dans la commune ; il ne se fonde sur aucune analyse criminologique sérieuse de la délinquance des mineurs dont on sait pourtant qu’elle obéit à des mécanismes différents de ceux de la délinquance des adultes.
Une fois de plus la France tourne le dos à ses engagements européens et internationaux, particulièrement à la recommandation émise en 2004 par le Comité des Nations Unies sur les droits des enfants, d’ailleurs reprise par le Conseil constitutionnel en 2002, du traitement des affaires de mineurs par des instances spécialisées.
En effet, après le vote de la loi concernant la répression de la récidive dont les mineurs n’ont pas été exclus, la création du fichier des auteurs d’infractions sexuelles où ils figurent en bonne place, le mouvement d’alignement de leur traitement sur celui des majeurs se poursuit avec l’extension à leur égard de la composition pénale, l’élargissement du contrôle judiciaire, l’introduction de la comparution immédiate…
L’équilibre de la justice des mineurs est fondé sur la complémentarité de ses deux critères d’intervention, l’assistance éducative et le pénal. La gradation des réponses, fondée sur la distinction entre la mesure éducative et la sanction pénale, est remise en cause. Ainsi, les expérimentations éducatives innovantes (mesure de réparation, prise en charge de jour…) sont elles détournées de leur objectif d’accompagnement d’un adolescent dans sa construction personnelle pour devenir des modalités de la sanction pénale.
Il s’agit là d’une véritable démission des adultes par rapport à leurs responsabilités éducatives, au nom de la lutte nécessaire contre l’insécurité : l’abandon de l’effort des adultes pour éduquer et accompagner les jeunes est concomitant de la pénalisation des errements de l’adolescence.
C’est pourquoi l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), attachée aux valeurs humanistes nécessaire à la prise en compte des jeunes en difficulté, appelle à une réforme de l’ordonnance de 1945 devenue inefficace, incompréhensible et même dangereuse par la multiplication des ajouts à caractère répressif sur un texte d’orientation éducative, ce qui lui enlève toute cohérence et autorise une multiplicité d’interprétations.
L’AFMJF préconise un large débat public sur la responsabilité des jeunes délinquants mais aussi sur celle des adultes à leur égard et plus généralement sur la prise en charge des jeunes en grande difficulté. Ce débat s’inscrirait lui-même dans la mise en place d’Etats Généraux de la Jeunesse.
L’AFMJF propose de donner au maire des pouvoirs et des responsabilités non pas en amont de la délinquance, ce qui relève de la compétence du conseil général en matière de signalement, mais en aval. En effet, le domaine de la réinsertion, considérée comme une prévention de la récidive, est aujourd’hui complètement négligée par les pouvoirs publics.
Quant aux formes et aux limites de la sanction, l’AFMJF invite à une réflexion prospective sur les mérites comparés du système actuel, fondé sur la menace de l’incarcération, et d’une orientation nouvelle autour de la réparation. Ce nouveau système serait fondé sur la restauration pragmatique des dégâts causés par l’infraction tant à la victime, à la société qu’à l’avenir du jeune délinquant lui-même. On s’efforcerait ainsi de rétablir le lien social dans tous ses aspects.
A cet effet, l’AFMJF suggère la mise en place d’une procédure souple, originale par rapport au droit commun tenant compte de la plasticité propre aux adolescents : après la détermination rapide de ses responsabilités, le mineur délinquant reconnu coupable serait mis en demeure de modifier son comportement général et d’accomplir les obligations mises à sa charge, y compris le dédommagement de la victime. Durant cette période d’épreuve, une investigation de personnalité et (ou) un accompagnement éducatif permettrait de préparer utilement le jugement final.
Consciente d’une continuité personnelle indispensable de la tenue du rôle judiciaire dans un tel système, l’AFMJF préconise enfin une politique énergique de restauration de la formation et de la spécialisation au sein de la juridiction des mineurs, humanisation sans laquelle l’intervention judiciaire n’a aucune crédibilité aux yeux de jeunes.
Le 12 juin 2006
AFMJF, Tribunal pour Enfants de Paris, 4 bld du Palais, 75001 Paris
Pour tout contact presse :
Robert Bidart, président de l’AFMJF, juge des enfants à Pau - 06 20 19 63 40
Catherine Sultan, Secrétaire Générale AFMJF, vice-présidente à Créteil - 06 18 04 06 48
Thierry Baranger, ancien président de l’AFMJF, premier juge des enfants à Bobigny - 06 63 71 48 65
Martine de Maximy, vice-présidente de l’AFMJF, présidente du tribunal pour enfants de Nanterre 06 07 18 61 00