Constats et propositions de l’AFMJF sur les Centres éducatifs fermés

Ainsi que le rappelait le rapport conjoint IGSJ-IGAS-IPJJ de la mission d’évaluation des CEF en janvier 2013, l’objectif des CEF, créés en 2002, était de proposer aux magistrats prescripteurs un dispositif alternatif à l’incarcération pour « des mineurs multirécidivistes ou multiréitérants ne respectant pas les conditions d’un placement traditionnel et mettant en échec les différentes interventions éducatives ». Ces structures, qui prennent appui sur une décision de nature coercitive, accueillent des mineurs en alternative à l’incarcération, à l’occasion de placements parfois préparés, mais le plus souvent décidés en urgence, dans un cadre fermé et contenant.

Les réticences exprimées dès l’origine par l’AFMJF et de nombreux professionnels de l’enfance ne portaient pas tant sur le concept même de structures éducatives contenantes, dont tout le monde s’accordait pour reconnaître qu’elles pouvaient correspondre à un besoin tant pour les mineurs que pour les juges, que sur le malentendu résultant du décalage entre l’effet d’annonce (centres « fermés ») et la réalité, qui est que le mineur peut en fuguer.

Si la création des centres éducatifs renforcés ne s’est pas heurtée aux mêmes réticences, et si ces établissements appellent aujourd’hui beaucoup moins de critiques dans leur fonctionnement que les CEF, c’est bien parce qu’ils ne sont pas entachés des mêmes vices originels.

Et il nous semble pertinent de poursuivre le parallèle entre CEF et CER dans la mesure où le public accueilli est globalement le même. A tel point que, lorsque la PEAT est sollicitée pour une proposition alternative à l’incarcération, elle étend le plus souvent – en accord avec les magistrats – ses recherches indifféremment vers ces deux types de structures.

Le concept du CER est clair : rupture géographique avec l’environnement habituel du mineur pour un temps limité, encadrement éducatif renforcé par rapport aux établissements traditionnels et occupation intensive.

Le concept du CEF l’est beaucoup moins :

  Doit-il « faire rupture par l’éloignement » ? Officiellement non, puisque le mineur est censé, à partir du CEF, et en lien avec le milieu ouvert, pouvoir travailler à sa réinsertion dans son cadre de vie habituel. Dans la réalité, oui le plus souvent, la plupart des mineurs étant placés en CEF en fonction des places disponibles sur l’ensemble du territoire national,

Si la question constamment débattue de la sortie de CEF se pose encore, c’est notamment parce qu’on n’a jamais résolu cette équation : comment préparer de façon pertinente une sortie de CEF à 500 km du domicile familial et des équipes éducatives « fil rouge » ?

  Peut-on fuguer d’un CEF ? Officiellement non, du fait d’un tour de passe-passe sémantique autour de la notion de « fermeture juridique », faute de pouvoir ériger des murs qui obligeraient à qualifier les CEF de « prison » ; Dans la réalité, oui bien sûr, et les jeunes accueillis ne s’en privent pas, sans pour autant être incarcérés la plupart du temps, notamment lorsqu’ils ne commettent pas de nouveau délit au cours de leur fugue.

Si le sujet du traitement des fugues est encore sur la table quinze ans plus tard lors de ce COPIL de mars 2017, ne conviendrait-il pas de se poser les bonnes questions avant de débattre autour de « protocoles d’incidents » aux contours incertains ?

  Que fait-on au sein d’un CEF ? Officiellement, on revendique une prise en charge axée autour des soins, de la scolarité ou de l’insertion professionnelle. Dans la réalité, si le jeune correspond effectivement au profil-cible du pensionnaire de CEF (multirécidiviste ou réitérant, en rupture de scolarité, qui a mis en échec toutes les prises en charge antérieures), peut-on sérieusement concevoir qu’il va en quelques mois, dans un milieu envahi par la violence de ses pairs, accéder à une démarche thérapeutique, à une reprise de scolarité ou à une insertion professionnelle ? Quant aux activités proposées, force est de constater qu’à quelques exceptions près, elles ne se distinguent pas toujours par leur caractère mobilisateur, original et motivant pour des jeunes qui ont besoin d’une contenance psychique permanente.

Il est dommageable que le débat autour de ces ambiguïtés originelles soit toujours éludé au profit de préoccupations certes pertinentes au sujet du cahier des charges, des soins, de l’instruction, de la hauteur des « haies vives » ou de la fugue mais qui devraient pouvoir s’adosser sur un concept de prise en charge beaucoup plus clair au départ.

Le satisfecit global délivré par le rapport d’inspection conjointe sur le dispositif CEF, qu’il préconise même de développer, ne doit pas pour autant masquer plusieurs réalités et notamment :

  La grande fragilité de ces structures qui périodiquement implosent ou explosent, sont fermées en urgence, contraignant les magistrats à devoir réorienter en catastrophe les mineurs confiés, sans aucune considération pour la fameuse « continuité du parcours du jeune » constamment revendiquée

  L’impossibilité récurrente de trouver du personnel éducatif expérimenté pour s’occuper au quotidien de ces jeunes

  L’extrême violence qui règne souvent au sein des CEF, et qui vient alimenter le casier judiciaire de beaucoup de mineurs confiés. Sur ce point, l’augmentation de la capacité d’accueil des CEF en 2012 nous semble être une erreur

  Un taux de « réussite » en sortie de CEF particulièrement faible au regard du coût de fonctionnement considérable de ces établissements, et surtout du dépouillement corollaire des autres structures ou services susceptibles de recevoir des mineurs au titre de l’ordonnance du 2 février 1945.

Ce dernier point revient de façon systématique et récurrente dans les propos des juges des enfants qui soulignent notamment l’absence chronique de solutions pertinentes de prise en charge éducative au pénal, de sorte que la solution CEF tend à devenir la première réponse en cas de déferrement lorsqu’une place est disponible.

Aujourd’hui, le dispositif CEF bénéficie de toutes les attentions, de comités de pilotage nationaux et locaux et de notes périodiques sur tel ou tel aspect de la prise en charge des mineurs confiés.

Les observations des organisations professionnelles et syndicales de magistrats recueillies par la mission d’inspection conjointe en janvier 2013 restent pourtant pleinement d’actualité : « les organisations consultées regrettent toutes l’élargissement des critères de placement en CEF, notamment au regard de la diversité des profils judiciaires accueillis. La gestion des places leur paraît opaque et les placements en CEF souvent choisis par défaut. En outre un déficit d’information sur le fonctionnement des CEF et sur la prise en charge des mineurs placés est souligné. La plupart craignent qu’une mauvaise gestion des incidents n’accroisse le risque d’incarcération. Enfin, ces organisations soutiennent que le développement des CEF doit reposer sur une évaluation objective de leurs résultats et des besoins en nouvelles structures. En ce sens, la mission, positivement accueillie, ne peut constituer à leurs yeux qu’une étape sur la voie d’une évaluation élargie à l’ensemble des dispositifs de placement et fondée sur l’étude du parcours des mineurs ».

Ce que souhaite aujourd’hui l’immense majorité des magistrats pour enfants, c’est avant tout un recensement des besoins, une mise à plat de l’ensemble du dispositif et des moyens corrélatifs et un débat national dépassionné sur ces questions de prise en charge des mineurs délinquants. Pour l’instant, l’idée selon laquelle le CEF doit s’inscrire dans un dispositif global d’hébergement des mineurs délinquants semble recueillir l’adhésion de tous les professionnels, y compris de la direction de la PJJ (cf note d’orientation de Mme Sultan de septembre 2014), mais la réalité qui demeure est celle de l’appauvrissement de l’ensemble du dispositif.

Alors que beaucoup de conseils départementaux ont su développer ces dernières années des dispositifs de prise en charge innovants et diversifiés (placements modulables, AEMO renforcées, lieux de vie…), force est de constater l’insuffisance chronique de l’offre au pénal : le secteur associatif se détourne de l’habilitation ordonnance de 45 pour les MECS, les mesures de liberté surveillée renforcées sont toujours annoncées et jamais mises en place et les lieux de vie demeurent confidentiels.

De ce fait, les placements « préparés » se font de plus en plus rares, faute de structures d’accueil adaptées en nombre suffisant. Du fait de leur recentrage sur le pénal, les équipes éducatives de la PJJ ont perdu le réseau qui était le leur dans le champ civil de la protection de l’enfance, et la question du placement ne finit par se poser la plupart du temps que dans le cadre de l’urgence au moment du défèrement.

LES PROPOSITIONS DE L’AFMJF

Pour les CEF spécifiquement, beaucoup de propositions pertinentes ont été émises tant par la mission d’inspection qu’à l’occasion des précédents comités de pilotage.

Il nous semble toutefois utile d’insister sur les points suivants :

− La nécessité maintes fois rappelée d’une évaluation extérieure de l’efficacité du dispositif CEF quant aux effets sur le parcours des mineurs à leur sortie

  La limitation conséquente du nombre de jeunes accueillis dans un CEF. Au-delà de 8 à 10 jeunes, leur prise en charge devient ingérable pour les équipes éducatives, sauf à pouvoir scinder le groupe par des dégagements extérieurs ce qui est rarement pratiqué à ce jour

  Garantir davantage de transparence autour du projet spécifique de chaque CEF et des éventuelles difficultés rencontrées. Les difficultés rencontrées par les CEF ne sont connues – au mieux – que des magistrats de leur ressort, alors qu’ils ont une vocation d’accueil à caractère national. La PJJ devrait pouvoir centraliser les informations et mettre en ligne un état des lieux annuel de chaque CEF

  Restreindre les conditions d’admission en CEF afin d’éviter que certains mineurs ne soient placés en CEF alors qu’ils pourraient relever d’autres dispositifs, faute de place dans ces derniers. Un mineur ne devrait pas pouvoir être confié à un CEF s’il n’a pas déjà fait l’objet préalablement d’un contrôle judiciaire ou d’une incarcération, ou suite à la commission d’un fait de nature criminelle.

L’AFMJF souhaite par ailleurs élargir le débat au-delà du seul dispositif CEF et mettre sur la table les propositions suivantes :

  Redéployer une partie des moyens conséquents consacrés au dispositif CEF pour développer massivement des mesures de liberté surveillée renforcée (notamment auprès des 13-16 ans qui commencent à s’inscrire de façon inquiétante dans la délinquance, ainsi que pour les sorties de CEF-CER). Ces mesures, expérimentées en assistance éducative, donnent d’excellents résultats pour des adolescents en perte complète de repères. Elles pourraient le cas échéant être également confiées au secteur associatif habilité si la PJJ n’est pas en mesure de les prendre en charge partout.

  Promouvoir la création de lieux de vie et d’hébergement diversifiés et explorer les ressources familiales. Force est de constater que ces petites structures au fonctionnement souple et proposant une prise en charge individualisée correspondent à un besoin réel pour beaucoup de jeunes qui ne peuvent s’adapter au placement collectif. Si de telles solutions pouvaient être proposées en amont, la question du placement en urgence au moment du défèrement se poserait beaucoup moins. Les ressources de la famille élargie du mineur ne sont pas non plus suffisamment explorées lors des déférements, alors que celle-ci peut parfois proposer une solution pertinente d’accueil immédiat, voire parfois plus durable.

  Favoriser les projets mobilisateurs, ambitieux, originaux et ouverts vers l’extérieur, notamment au sein des CER et des CEF (séjours itinérants, dégagements individuels, sports, musique etc…) en adaptant au besoin les dispositions du droit du travail pour le personnel éducatif. Dans son rapport (page 45), la mission d’inspection conjointe faisait déjà le constat que « le manque d’activités ou leur défaut d’attractivité pour les mineurs constituait un facteur de désordre rapidement générateur d’incidents du type violence ou fugues ». Le constat a aussi pu être fait que les CEF qui fonctionnent le mieux sont souvent ceux qui savent construire un réseau solide de partenaires extérieurs.

  Revoir l’articulation entre les dispositifs CER et CEF, notamment autour des questions de l’accueil d’urgence et de la rupture : A ce jour, le CEF reste la seule réponse réelle à la nécessité d’un accueil d’urgence, avec toutes les dérives que ça peut impliquer en termes d’inadéquation au profil du mineur ; le projet de rupture sur un temps ciblé tel que proposé par les CER correspond à un réel besoin et bénéficie au surplus d’une plus grande clarté pour le mineur. Il souffre en revanche de sa rigidité liée à l’organisation sous forme de sessions, qui ne permet que rarement une admission en urgence sur déférement. Le dispositif global devrait pouvoir permettre également des séjours de rupture pouvant être mobilisés dans l’immédiateté, adossés à un projet fort et mobilisateur.

Ces propositions de l’AFMJF pourraient s’inscrire, aux côtés de celles des différents acteurs publics et associatifs impliqués dans la prise en charge des mineurs délinquants, dans le cadre d’une conférence nationale de consensus précédée de groupes de travail autour des prises en charge éducatives au pénal et notamment des thématiques suivantes :

• Bilan des dispositifs et mesures existant : milieu ouvert, réparation, centres de jour, hébergement (collectif, diversifié, renforcé, lieux de vie…) et prise en compte du rapport coût/efficacité

• Promotion des initiatives et expérimentations locales

• Analyse des besoins

• Répartition secteur public/secteur associatif habilité : perspectives d’évolution

• Propositions