Critique des EPM par la Ligue des Droits de l’Homme

Des établissements pénitentiaires pour mineurs, pour quoi faire ?

Selon l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant, « nul enfant ne doit être privé de liberté de façon illégale ou arbitraire : l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible ». Qu’en est-il aujourd’hui en France ?

Cet article de Françoise Dumont, secrétaire générale adjointe de la LDH, a été publié dans le N° 138 - avril / mai / juin 2007 - de la revue Hommes & Libertés [1].

Réjouissons-nous : en matière de détention, la France, où la Convention est entrée en vigueur en 1990, respecte plutôt bien cet article. Il y a effectivement relativement peu de mineurs incarcérés et, quand ils le sont, leur incarcération est de courte durée. Depuis maintenant plusieurs années, le taux d’incarcération des mineurs tourne autour de 700. A titre d’exemple, il y avait au 1er janvier 1999, 714 mineurs en prison, et 721 mineurs étaient incarcérés au 1er mars 2007.

Quant à la durée moyenne de la détention, elle est proche de six mois pour les mineurs. Il faut dire aussi que, contrairement à ce que le ministre de l’Intérieur de l’époque, aujourd’hui président de la République, a toujours affirmé, les actes commis par les mineurs ne sont dans leur grande majorité, ni très graves, ni plus graves qu’auparavant. Ainsi, en 2005, le total des homicides (coups mortels, viols, vols à main armée et vols avec violence, autrement dit tout ce que l’on peut considérer comme relevant à juste titre de l’incarcération) ne représentait que 4,6 % de la délinquance totale des mineurs.

Les statistiques des condamnations prononcées par les cours d’assises en France sont d’ailleurs un excellent indicateur de l’évolution de la gravité des actes de délinquance des mineurs. Celles-ci témoignent d’un accroissement important du nombre de condamnations criminelles jusqu’en 1999, mais depuis, en six ans, leur nombre semble s’être stabilisé dans une fourchette de 560 à 630 par an. Evidemment, il ne s’agit pas de nier une réalité qui est préoccupante mais, en même temps, nous refusons que cette réalité soit sans cesse occultée.

Aujourd’hui, les mineurs condamnés à des peines de prison sont incarcérés dans les quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt. Ces quartiers peuvent accueillir 1 073 jeunes et, compte tenu du taux d’incarcération cité précédemment, ils sont donc loin de « faire le plein ».

Dans un tel contexte, et au moment où l’on nous démontre tous les jours qu’il faut faire des économies (sur l’école, en ne remplaçant pas les départs en retraite ; sur la santé, en créant une franchise, etc.), on peut légitimement s’interroger sur la nécessité de construire sept nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), sans pour autant prévoir la fermeture ou l’indispensable amélioration des actuels quartiers pour mineurs.

Le premier de ces établissements a été inauguré en mars dernier par Pascal Clément, le précédent garde des Sceaux. Il se trouve à Meyzieu, dans le Rhône. Les six autres sont prévus à Chaconin près de Meaux, à Marseille, à Orvault près de Nantes, à Porcheville près de Mantes-la-Jolie, à Quévrechain près de Valenciennes et à Lavaur dans le Tarn.

Des prisons spécifiques pour mineurs

Chaque EPM pourra accueillir 60 jeunes, répartis en « unités de vie »’ de 10 mineurs au maximum, et la prise en charge des jeunes détenus se fera par un binôme éducateur-surveillant. Des activités scolaires seront assurées par des personnels issus de l’Education nationale, avec un objectif de vingt heures hebdomadaires d’enseignement. La construction des sept établissements devrait coûter 90 millions d’euros, une quarantaine de personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) travailleront dans chacune de ces structures.

Dans le même temps, en l’espace de deux ans, une dizaine de foyers éducatifs ont été fermés à la PJJ et d’autres fermetures sont en prévision. Les listes d’attente sont monnaie courante dans les services de milieu ouvert. Pour donner un ordre de grandeur, la construction d’un seul EPM équivaut à 6 foyers éducatifs de 10 places chacun ou à 8 services d’insertion professionnelle (soit la prise en charge de 250 mineurs) ou bien encore à 10 services de milieu ouvert (soit 1 500 jeunes suivis). La construction de ces EPM a été prévue par la loi Perben 1 de septembre 2002. Elle fait partie d’un ensemble de mesures qui, avec la loi Perben 2 et la loi dite de prévention de la délinquance, durcissent considérablement la justice des mineurs. Elle s’inscrit dans le discours récurrent sur le laxisme de celle-ci, sur l’impunité dont les jeunes délinquants bénéficieraient, sur la nécessité de barrer la route à la « barbarie » qui guette la société française si elle continue à excuser la violence des mineurs (cf. la conférence de presse de Nicolas Sarkozy du 11 janvier 2007).

Entre la mise en place de la procédure du jugement « à délai rapproché », remplacée en 2007 par « la présentation immédiate », entre la possibilité de prononcer des « sanctions éducatives » dès l’âge de 10 ans et l’élargissement des possibilités de placement sous contrôle judiciaire ou de détention provisoire dès 13 ans, les exemples de la volonté d’aligner la justice des mineurs sur le droit commun des majeurs ne manquent pas. Durcissement qui, bien entendu, vise toujours à remettre en cause l’ordonnance de 1945.

Lorsqu’il ne s’en prend pas à tel ou tel juge des enfants, le discours sur la nécessité de modifier la législation et notamment l’âge de la majorité pénale, s’appuie aussi sur l’idée que les « mineurs d’aujourd’hui » sont plus dangereux que les « mineurs d’autrefois », essentiellement parce qu’ils sont plus grands. Devait-on être plus indulgents avec les Saute-aux-pattes de la Glacière, les Chevaliers du sac, les Demi-Siphons de Menilmuche, autant de bandes qui défrayaient la chronique en 1908, uniquement parce que, vraisemblablement, ces jeunes étaient un peu plus petits que certains des actuels mineurs délinquants ? A moins que, à l’heure du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, la dangerosité soit aussi liée au degré de pigmentation de la peau… On a du mal à croire que le législateur puisse sérieusement imaginer que l’on devienne majeur sous l’effet de sa taille et qu’il oublie que, précisément, l’obligation de vivre dans un grand corps est parfois, pour le jeune, source de mal-être. Depuis quand mesure-t-on la maturité, donc la responsabilité, au nombre de centimètres ?

Par ailleurs, il faut aussi rappeler que la justice française, comparée à celle d’autres pays européens, n’est pas particulièrement laxiste. Il n’existe aujourd’hui aucune impunité systématique en dessous de 13 ans. Tout mineur doué de discernement peut, d’ores et déjà, être déclaré coupable d’infraction pénale. En France, cet âge du discernement est habituellement fixé, selon la jurisprudence, aux environs de 7 ans. Dans d’autres pays, il est plutôt autour de 14 ans : 10 ans en Angleterre, 14 ans en Italie ou en Espagne. En France encore, de très lourdes sanctions peuvent être prononcées dès l’âge de 13 ans puisque, à cet âge-là, une peine de 20 ans de réclusion peut être infligée. L’atténuation de la peine liée à la minorité, telle que prévue par l’ordonnance de 1945, n’est pas non plus automatique. Ainsi, en avril 2007, la cour d’assises des mineurs des Bouches-du-Rhône vient de condamner à 23 ans de réclusion deux mineurs accusés d’avoir tué à coups de pierre une jeune femme de 23 ans. Quant à Patrick Dils, condamné à perpétuité puis à 25 ans de réclusion, avant d’être acquitté en avril 2002, il s’était vu refuser l’excuse de minorité alors qu’il avait 16 ans à l’époque où il était censé avoir commis les faits !

Les EPM : une imposture !

Faire le choix des EPM, c’est d’abord faire un choix budgétaire lourd. Comme c’était déjà le cas pour les centres éducatifs fermés. Pour promouvoir ces établissements, l’ancien ministre de l’Intérieur a fait croire à l’opinion publique que, jusqu’alors, les mineurs n’étaient pas séparés des majeurs alors que les quartiers pour mineurs existent dans toutes les maisons d’arrêt. Seules les jeunes filles sont encore incarcérées avec les femmes adultes. Il est peu vraisemblable que ces sept établissements soient entièrement destinés à ces quelques jeunes filles, d’autant que leur sort n’a jamais véritablement intéressé les politiques. De même, si l’objectif réel avait été l’amélioration des conditions de détention, dénoncées depuis de nombreuses années par les professionnels et les associations, pourquoi ne pas avoir octroyé autant de moyens pour l’amélioration des quartiers mineurs existants, tant sur le plan humain que matériel ?

La réponse à ces questions réside sans doute dans les propos tenus par le ministre de la Justice de l’époque lorsqu’il définissait ces prisons comme des murs entourant une salle de classe ! Au-delà de ces propos qui se veulent rassurants pour les EPM mais inquiétants pour l’école, on voit bien qu’il y a là la volonté de banaliser l’incarcération, comme s’il n’y avait pas dans toute incarcération risque de désocialisation.

Comment ne pas également prendre en compte le fait que, pour beaucoup de ces jeunes, la détention dans des lieux souvent éloignés de toute agglomération signifiera absence de visites, rupture avec une famille qui ne pourra assumer les frais de déplacements réguliers ? Comment pourront être organisées des rencontres régulières avec les familles, telles que le cahier des charges des EPM le prévoit ? Par ailleurs, l’histoire de la délinquance des mineurs et des modalités de sa prise en charge a montré que la concentration dans un même établissement d’un grand nombre de jeunes en difficulté a toujours été vouée à l’échec. Depuis le xixe siècle, les prisons pour enfants ont toujours existé, qu’on les appelle maisons de correction, d’éducation surveillée ou colonies pénitentiaires. Les dernières d’entre elles ont fermé dans les années 1970 en raison de leur échec sur le plan éducatif et de la violence qui y régnait toujours.

Mais, au-delà de ce choix budgétaire, il y a bien sûr un choix de société. L’ampleur du programme EPM est sans aucun doute lié au projet d’augmentation de l’incarcération des mineurs, soit en matière de détention provisoire (peut-être même en matière correctionnelle), soit comme sanction pour des délits relativement mineurs. Elle illustre ce « recours compulsif à la prison », décrit par Serge Portelli dans son ouvrage Nicolas Sarkozy : une République sous haute surveillance [2], ouvrage dans lequel ce magistrat montre bien combien toutes les lois votées depuis 2002 ont créé de nouveaux délits passibles d’incarcération. Le résultat, on le connaît : une inflation sans précédent de la population carcérale.

Avant de se lancer dans la construction des EPM, on aurait aimé un minimum de réflexion objective sur l’efficacité de la prison, pour les mineurs comme pour les majeurs. On aurait aussi aimé que soit mieux entendue la parole des magistrats pour la jeunesse ainsi que celle des éducateurs. Que demandent-ils dans leur grande majorité ? La suppression de toute réponse pénale ? Sûrement pas. Plus de possibilité d’incarcération ? Certainement pas non plus, car il y a aujourd’hui plus de places en prison que de places dans les centres éducatifs renforcés ou dans les centres de placement d’urgence. Ce qu’ils demandent, c’est bien sûr une meilleure prévention, mais aussi une palette de possibilités effectives de réponses, plus de personnels au tribunal mais aussi au sein des services sociaux, la réhabilitation et le développement des peines alternatives.

En développant l’incarcération, on satisfera la demande de réponses immédiatement visibles, celles qui correspondent bien à l’idéologie de la « tolérance zéro », martelée en continu par Nicolas Sarkozy, grand admirateur de l’ancien maire de New York. Se demande-t-il si un plus grand nombre de prisons apporterait vraiment plus de paix dans la cité ? En tout cas, les deux millions de détenus n’ont pas fait des Etats-Unis un pays plus sûr. D’ailleurs, c’est dans les pays et lors des périodes où les peines sont les plus cruelles que la criminalité est la plus développée. En fait, ce qui compte, c’est l’affichage…

En augmentant le nombre de mineurs incarcérés, la France va prendre beaucoup de libertés avec les préconisations de l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant. A nous de le faire savoir et de le combattre.

Françoise Dumont - date de publication : mercredi 1er août 2007

Notes
[1] Hommes & Libertés, revue de la LDH : pour consulter les numéros précédents, pour s’abonner.

[2] Serge Portelli, Nicolas Sarkozy : une République sous haute surveillance, L’Harmattan, mai 2007, 198 pages, 19 euros.

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