Extrait de la Lettre de juin 2001
Assemblée générale de l’AFMJF 27 janvier 2001
La Garde des Sceaux Marylise LEBRANCHU consacre deux heures au débat.
Après une matinée introduite par Hervé HAMON sur la violence de la judiciarisation, notre assemblée générale a accueilli, en direct, l’émission Le bien commun sur France Culture, d’Antoine GARAPON et de Thierry PECH, sur le thème “Le juge des enfants est-il en danger ?”
L’émission permit une riche confrontation sur cette question entre Thierry BARANGER, Pierre BERTON, directeur du Centre de Formation de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et Stéphane AMBRY, avocat au barreau de Bordeaux, connu pour son rôle pionnier dans la mise en place d’un avocat spécialisé dans la défense des mineurs.
L’aprés-midi débuta avec la venue de Marylise LEBRANCHU, Garde des sceaux, qui prit le temps de débattre directement avec nous, sans discours mais dans un langage direct et chaleureux, laissant cependant apparaitre quelques contradictions.
L’assemblée générale se poursuivit, ensuite, par un débat sur “la violence du placement” avec, notamment, des interventions de Bruno CATHALA, d’ATD-Quart Monde, de Sylvie JALOUNEIX et de Marie-Anne BAULON (voir page 3).
En clôture, et aprés une passionnante intervention du philosophe Jean-Godefroy BIDIMA autour de “la métaphore de l’arbre à palabres dans la figure d’autorité du juge” qui fera l’objet d’une publication dans le prochain numéro de Mélampous, Madeleine SABATINI vint clôturer cette journée par une vivante et oh combien mobilisatrice intervention sur la fonction du juge des enfants et les difficultées actuelles qu’il rencontre.
“Un recul de la spécialisation dans la juriction des mineurs” s’inquiète Thierry BARANGER.
Après avoir remercié de sa venue Marylise LEBRANCHU qui venait poursuivre une tradition d’échanges avec les juges des enfants, Thierry BARANGER rappela la volonté de l’association de défendre “une vision humaniste et progressiste de la juridiction des mineurs”, même s’il pouvait paraître ”ringard” de le proclamer.
Thierry BARANGER mettait l’accent, au-delà de la pénurie de moyens, notamment en personnel de greffe, sur les inquiétudes ressenties par l’association concernant “un véritable recul de la spécialisation” et ceci, à plusieurs niveaux :
1 - Constat d’un déséquilibre en train de se créer entre le traitement pénal et le traitement civil de l’enfance, au profit d’une croyance irrationnelle dans la capacité rédemptrice de la voie pénale, oubliant par là-même l’importance et l’effectivité de l’assistance éducative dans sa mission de soutien à l’autorité parentale, et donc à son rôle non négligeable dans la prévention de la délinquance.
2 - Atteinte grave au principe juridique de “privilège de juridiction” pour les mineurs, par un “oubli” de la juridiction des mineurs dans la nouvelle loi sur la présomption d’innocence qui, pour la première fois depuis 1945, vient donner à un magistrat non spécialisé, le pouvoir le plus grave s’agissant d’un mineur, celui de le mettre en détention mais également de prendre à son égard des mesures éducatives de liberté surveillée et de placement.
3 - Recul de la spécialisation du fait des orientations tant des Services judiciaires que du Conseil supérieur de la magistrature en matière de gestion des carrières des juges des enfants qui conduisent à ne pas reconnaître réellement la spécialisation de ces magistrats.
4 - Recul également sur le plan éducatif avec le projet de réforme des SEAT qui vient renforcer les fonctions d’aide à la décision au détriment des actions de suivi individuel dans le temps.
5 - Recul accentué par l’organisation propre au ministère de l’intérieur qui se refuse à répondre positivement à une revendication ancienne des juges des enfants qui souhaiteraient que les brigades des mineurs traitent à la fois des mineurs victimes et des mineurs auteurs d’infraction.
“La chance de la dignité, c’est aussi, parfois, la chance de la sanction” remarque Marylise LEBRANCHU.
Marylise LEBRANCHU, Garde des Sceaux, prenait alors le temps de débattre avec nous. Pas de discours, mais un langage direct, où certains pouvaient relever quelques contradictions. En voici un compte rendu non officiel mais, espérons-le, suffisamment fidèle.
La Garde des Sceaux a d’abord établi un fait statistique : entre 1996 et 1999 les condamnations prononcées par les tribunaux pour enfants ont augmenté de 60% ! Preuve que les juridictions pour mineurs ne sont pas déconnectées des préoccupations actuelles de la société et que les juges des enfants ne désertent pas le pénal.
Marylise LEBRANCHU relevait que le sujet des mineurs est capté par tous. Partout où elle se rend, elle note une forte demande de la population pour le recrutement de juges des enfants, illustration à ses yeux que ces magistrats font un travail bien perçu.
Elle a présenté une instance de partenariat Conseil général/Justice qu’elle souhaite voir se mettre en place sous la présidence des préfets, afin de mener des actions territorialisées plus efficaces. Elle a encouragé les juges des enfants à y participer, insistant pour qu’ils puissent y jouer un rôle, sauf à rester spectateur et à ne plus retrouver une place définitivement perdue.
Au delà des chiffres de la délinquance annoncés comme mauvais, elle a insisté sur la responsabilité collective comme levier d’action à l’égard des mineurs : groupes de parole, travail avec les parents. Pour elle, la répression (incarcération, comparution immédiate des majeurs) n’est que le résultat d’une absence de réponse sociale plus constructive aux problèmes de délinquance.
Concernant les mineurs, elle note une vraie demande de spécialisation des quartiers pénitentiaires. Elle propose de mettre l’accent sur les Centres éducatifs renforcés et les Centres de placement immédiat, tout en reconnaissant qu’il faut préparer la sortie de ces structures, sinon le résultat serait finalement catastrophique.
Elle a parfois relevé une certaine détresse des éducateurs qui ne voient pas forcément les choses s’améliorer malgré des renforts en personnel : “on a eu des postes, mais on ne fait rien de mieux qu’avant.”
Elle nous a semblé critique à l’égard du “tout répressif” et de la comparution immédiate qui serait plus du “dépotage que du temps réel.” La ministre indiquait qu’il fallait respecter le temps du contradictoire et que pour la justice des mineurs, il fallait intégrer la notion de temps. Marylise LEBRANCHU a pourtant pointé qu’il fallait aussi “prendre en compte la petite musique qui existe partout : la police arrête, la justice relâche.”
Si elle pense que reconnaître la responsabilité d’un délinquant, c’est aussi lui reconnaître une dignité, “ce n’est pas parce qu’on est digne et responsable qu’il faut aller en prison”, sa phrase finale a pourtant été : “la chance de la dignité et la chance de la responsabilité, c’est aussi parfois, la chance de la sanction”.