Historique de la justice des mineurs

#TDM

Extrait de la Lettre de Mélampous de septembre 2001

#1#Le mineur délinquant

Le droit des mineurs apparaît comme un droit nouveau même si la distinction entre l’adulte et l’enfant connaît une longue histoire. Le droit actuel qui a trouvé ses fondements dans le droit pénal des mineurs délinquants, fut traversé par trois grandes périodes : au concept d’atténuation des peines, succéda celui de discernement pour aboutir à l’éducabilité qui forme l’antichambre de notre droit des mineurs.

Du droit romain jusqu’à l’ancien régime, l’enfant est considéré comme un adulte en miniature ayant un régime marqué par l’atténuation du droit strict et non l’application d’une règle de droit particulière. En réalité, seul l’infans, mineur de sept ans, bénéficie d’une irresponsabilité pénale absolue.

Il faut attendre la fin du XVIIIème siècle pour voir apparaître la notion “d’excuse de minorité” dans les codes pénaux révolutionaire de 1791 et napoléonien de 1810 fixant à seize ans l’âge de la majorité pénale à partir duquel l’individu est totalement assimilé à un adulte.

La responsabilité pénale devient subordonnée à la question du discernement qui induit à côté des peines, le prononcé de mesures de rééducation. Ainsi, si les juges, qui étaient à cette époque les juridictions de droit commun, considèrent que le mineur a agi avec discernement, il est condamné à une peine réduite, exécutée dans une maison de correction. Dans le cas contraire, il n’est pas acquitté mais absous, et relève d’une mesure éducative, à savoir soit la remise à parent, soit l’envoi dans une maison de correction jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de vingt ans au maximum. Ce traitement ne constitue pas, aux yeux de la jurisprudence, une peine mais une mesure de police “propre à rectifier son éducation”.

Cependant, en 1810, ces établissements n’existent pas encore et les mineurs en question vont d’abord purger leur “mesure éducative” dans les prisons d’adultes jusqu’à ce que l’initiative privée prenne le relais en créant la colonie de Neuhoffen en 1833, puis celle d’Oullins en 1835 et enfin celle de Mettray, la plus célèbre de toutes, en 1840. Dans le domaine public, le coup d’envoi semble donné en 1836 par l’ouverture d’institutions et la création de quartiers spéciaux pour mineurs dans les prisons. Ces établissements tant privés que publics préconisent le retour à la vie rurale et la discipline paramilitaire.

Toutes ces réalisations ont trouvé leur couronnement dans une loi de 1850 sur l’éducation et le patronage des jeunes détenus. Cette législation napoléonienne présente de nombreux défauts auxquels il a été remédié par des réformes fragmentaires.

Le code de 1810 n’envisage pas pour les mineurs des règles de compétence spéciales. En effet, il les défère à la cour d’assises, au tribunal correctionnel ou au tribunal de police suivant qu’ils étaient poursuivis pour crime, délit ou contravention.

Les lois du 25 juin 1824 et du 28 avril 1832 consacrent dans une certaine mesure le privilège de juridiction : certes, les juridictions de droit commun sont compétentes mais lorsque le mineur n’avait pas commis un crime trop grave et qu’il n’avait pas de complice majeur, la juridiction du tribunal correctionnel se substituait à celle de la cour d’assises.

Mais le législateur napoléonien n’ayant pas créé d’établissements spéciaux pour mineurs, ceux qui sont condamnés à des peines d’emprisonnement les purgent dans les prisons ordinaires et ils s’y corrompent totalement et définitivement au contact des adultes. Avec les lois du 5 et 12 août 1850, il est procédé à un aménagement important des institutions pénitentiaires : des quartiers distincts pour les mineurs sont créés dans les maisons d’arrêt ainsi que des établissements spéciaux revêtant la forme de colonies agricoles où ils reçoivent une éducation professionnelle, morale et religieuse.

Le début du XXème siècle est marqué par une prise de conscience du particularisme du droit pénal des mineurs.

L’idée d’une protection renforcée apparaît avec la loi du 12 avril 1906 qui diminue le régime répressif et augmente le régime éducatif. Elle élève aussi la majorité pénale de seize à dix-huit ans et fixe à vingt et un ans l’âge jusqu’auquel peuvent se prolonger les mesures d’éducation.

Néanmoins, ces réformes fragmentaires apparaissent insuffisantes au fur et à mesure que se modifie la délinquance juvénile. Une réforme plus générale fut réalisée par la loi du 22 juillet 1912, remaniant profondément le système du code pénal sur la responsabilité des mineurs.

Elle supprime la question du discernement pour les mineurs de moins de treize ans : bénéficiant d’une présomption irréfragable d’irresponsabilité, le tribunal civil réuni en chambre du conseil ne peut prononcer que des mesures éducatives.

La règle de la spécialisation domine le régime des mineurs de plus de treize ans : ils deviennent justiciables du nouveau tribunal pour enfants et adolescents, institué sur le modèle anglo-saxon des Children courts et Juvenile courts.

Néanmoins, les juridictions de droit commun restent compétentes pour les mineurs de seize à dix-huit ans accusés de crime et pour tout mineur de treize à dix-huit ans ayant des co-inculpés majeurs.

Un autre apport de cette loi est l’abandon du caractère définitif de la décision et de la règle de dessaisissement, permettant ainsi au juge de modifier les mesures ordonnées.

Enfin, elle institue le régime de la liberté surveillée, décriminalisant partiellement le droit des mineurs.

Cependant, on reproche aux nouvelles juridictions de ne pas se distinguer des juridictions ordinaires. En effet, seules les grandes villes bénéficient de magistrats spécialisés. Ainsi, la loi du 27 juillet 1942, fortement influencée par la législation italienne (qui connaît une spécialisation très poussée des tribunaux et des organismes d’observation) crée d’une part, une juridiction régionale comprenant un tribunal pour enfants et adolescents présidé par un président de chambre de cour d’appel assisté de deux magistrats professionnels spécialisés et d’autre part, un centre d’observation des mineurs permettant une enquête sociale avant le jugement.

Même si elle n’a jamais été appliquée, cette loi a introduit une nouvelle conception de la minorité pénale en supprimant la notion de discernement et en adoptant celle d’éducabilité. Mais, c’est à l’ordonnance du 2 février 1945 que revient le mérite de l’avoir traduite avec succès dans la pratique judiciaire et sociale, réformant ainsi complètement et durablement la matière.

#2#Le mineur en danger

L’ordonnance du 23 décembre 1958 prolonge, sur le plan civil, l’ordonnance du 2 février 1945 et fond en un texte unique des mesures auparavant dispersées concernant les mineurs en état de danger mais non délinquants.

En réalité, dès la codification impériale, le législateur a prévu une protection spéciale des enfants victimes d’infractions. Mais le code pénal de 1810, venant au secours de l’enfant en danger, se contente de l’envisager sous l’angle de l’atteinte à la pudeur (qualification qui inclut certaines formes de viols).

Néanmoins, il y a là l’origine d’un mouvement constant, à savoir la vigilance accrue du législateur pour toutes les infractions où la victime est un mineur.

C’est seulement vers la fin du XIXème siècle que la législation s’intéresse à la puissance paternelle pour en compenser les défaillances, soit par le contrôle, soit par la déchéance.

La loi du 24 juillet 1889 sur “la protection des enfants maltraités et abandonnés” établit des cas de déchéances obligatoires ou facultatives lorsque la santé ou la moralité semblent compromises. Prononcées soit à titre accessoire par le tribunal répressif, soit à titre principal par le tribunal civil en chambre du conseil, elles concernent les parents qui se sont rendus coupables d’infractions contre la personne de leur enfant. Mais, cette mesure ne peut intervenir que dans les cas graves et après une procédure lourde. En réalité, elle apparaît moins comme une protection de l’enfant que comme une sanction à l’égard du père.

La loi du 19 avril 1898 sur “la répression des violences, voies de fait et attentats commis contre des enfants” autorise les premières mesures de placement en donnant la possibilité au juge d’instruction ou à la juridiction de jugement de confier la garde de tout mineur victime d’une infraction à un parent, à une personne autre, à une institution charitable ou à l’assistance publique.

Ces deux lois concernant essentiellement les enfants maltraités ont un caractère répressif et ne se préoccupent guère de la parole de l’enfant en tant que témoin ou victime de ces violences.

La loi du 25 novembre 1921, complétée par les lois du 23 juillet 1925 et du 17 juillet 1927, vient assouplir la législation en admettant que les attributs de la puissance paternelle puissent n’être retirés que partiellement. Elle prend aussi en considération le vagabondage des mineurs en instituant à leur profit une présomption irréfragable de non-discernement. Ainsi, même s’ils demeurent des délinquants soumis aux tribunaux répressifs, seules des mesures rééducatives peuvent être prononcées à leur encontre.

Le décret-loi du 30 octobre 1935 substitue au caractère répressif du droit des mineurs victimes une conception éducative. Il permet au président du tribunal civil de prendre une mesure d’assistance éducative ou de surveillance en milieu ouvert. Il ne s’agit plus alors, ni de retirer la puissance paternelle, ni même de la démembrer en ôtant certains attributs comme la garde, mais d’organiser une aide pour un milieu familial jugé insuffisant mais non foncièrement défavorable à l’intérêt du mineur. Cette mesure, ancêtre de l’AEMO actuelle, peut être prise lorsque “la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de l’enfant sont compromises ou insuffisamment sauvegardées par le fait des père et mère”.

L’ordonnance du 1er septembre 1945 transfère cette compétence au président du tribunal pour enfants (créé par l’ordonnance du 2 février 1945), qui peut de surcroît, faire procéder à des enquêtes sur la personnalité du mineur et sur sa situation familiale.

Enfin, l’ordonnance du 23 décembre 1958 élargit les pouvoirs déjà donnés au juge des enfants par l’ordonnance de 1945 concernant les mineurs délinquants, aux mineurs en danger. Ainsi, sa compétence déborde nettement le domaine pénal pour pénétrer profondément en droit civil, formant un droit des mineurs spécialisé car unitaire et autonome.

Karine BOBIER
Etudiante en droit - Caen

Sources : traité de droit des mineurs - Philippe Robert 1969, droit pénal des mineurs - Jean-François Renucci (Masson), traité de droit criminel - Roger Merle et André Vitu (Cujas), traité de droit pénal et de criminologie - Pierre Bouzat et Jean Pinatel (Dalloz), Jurisclasseur autorité parentale - fascicule 20.