Intervention de Marie Pierre HOURCADE à la FNATPE

01 février 2014

"Merci pour cette invitation à votre assemblée générale consacrée comme le programme l’indique à la violence des mineurs et aux assesseurs.

Nos liens avec les assesseurs des tribunaux pour enfants sont anciens et étroits dans les juridictions puisque vous siégez à nos côtés aux audiences du tribunal pour enfants et dans le cadre de notre association, certains d’entre vous sont adhérents.

Tout d’abord je dois vous dire que vous êtes appréciés des juges des enfants et que votre intervention n’a jamais été remise en cause, de notre part. Si quelques esprits chagrins ont pu tenter de vous rayer de la carte, il ne s’agissait que d’une tentative de nous atteindre et remettre en cause une justice considérée de façon erronée comme trop laxiste. C’est ce qui nous a valu l’instauration des tribunaux correctionnels pour mineurs, exit les assesseurs mais surtout, introduction de juges correctionnels non spécialisés qui devaient mettre en difficulté les juges des enfants par l’effet de délibérés les mettant potentiellement en minorité. Mais ce coup de canif symboliquement important, en réalité a eu peu d’impact sur les décisions rendues, et devrait être bientôt du registre du passé puisque l’actuel gouvernement et particulièrement notre garde des sceaux nous a garanti qu’il serait supprimé.

Mais avant toute chose et avant de tenir un propos sur des questions d’actualité, je ne peux faire l’impasse sur la légitimité de vos fonctions.

Votre existence n’est pas récente puisque vous apparaissez dans le paysage institutionnel au même moment que nous en 1945 même si pour les puristes, une ébauche de juge des enfants remonte en réalité en 1912 mais sans moyen ni outils juridique spécifiques. Donc, on peut dire que nous sommes créés en même temps, vous, nous et notre ordonnance de 45. Cette juridiction était originale à plus d’un titre mais limitons nous à votre rôle, celui de juger aux côtés du juge des enfants présidant le tribunal pour enfants, les mineurs délinquants ayant commis des crimes et des délits.

Cette création d’une juridiction spécifique s’apparente un peu aux jurés d’assises qui sont des citoyens non professionnels mais tirés au sort, alors que les assesseurs des tribunaux pour enfants sont choisis en fonction de leurs compétences et de l’intérêt qu’ils portent aux questions relatives à la jeunesse.

L’idée qui préside dans ce choix est certes le souci de rapprocher les juges du justiciable, et répondre à l’idée selon laquelle la justice est rendue au nom du peuple français, c’est en tout cas la philosophie qui préside à la composition des cours d’assises, C’est aussi et surtout pour les tribunaux pour enfants d’entourer les juges pour enfants de personnes qualifiées, non juristes mais dont la qualification professionnelle et la compétence vont enrichir l’appréhension de la situation du mineur et définir la réponse la plus adaptée pour favoriser son insertion et par voie de conséquence pour éviter la récidive.

Vous êtes d’origine très diverse, ce qui fait votre richesse. Permettez moi de dire les qualités que j’appréciais chez mes assesseurs : au-delà de leurs qualifications professionnelles diverses, que ce soit dans le monde de l’éducation, de la formation, de l’emploi ou de l’employabilité, ou de la psychologie, j’attendais de mes assesseurs qu’ils s’interrogent sur ce qui pouvait modifier le parcours d’un jeune, qu’est ce qui modifie le comportement humain, d’un jeune ou d’un adulte, ce qui est le cœur de notre métier et du jeune qu’on est amené à juger dans la situation présente qui nous est soumise ? La réponse n’est pas simple, et c’est au regard de son histoire familiale, de son parcours de réussite et le plus souvent d’échec, en redonnant aux parents toute leur place et l’autorité qu’ils ont souvent perdue, en faisant alliance avec eux sur les exigences éducatives et les perspectives qu’on peut avoir pour tout jeune même multi récidiviste, en ayant à l’esprit que ce jeune évolue dans un environnement plus ou moins aidant selon le quartier où il réside, entouré de trafiquants de drogues, de copains qui ne sont plus scolarisés et qui trouvent dans la bande de copains des raisons d’exister et une source de reconnaissance.
C’est au regard de toutes ces réalités qu’il faut penser, construire une réponse et en convaincre le mineur, et ses parents.
Les juges que nous sommes n’avons pas nécessairement la connaissance de ces mondes qui se juxtaposent et se côtoient et l’appréhension juridique d’un dossier peut faire perdre l’appréhension nécessaire d’une réalité complexe et nous attendons des assesseurs qu’ils viennent restituer toute cette complexité.

Ce qui est important aussi, c’est la perception qu’ont les mineurs et leurs parents des juges que nous sommes. S’ils repèrent le juge en robe, ils ignorent je pense qui vous êtes. Ils connaissent leur juge professionnel puisque en général, ils ont déjà eu affaire à lui lors de la mise en examen et lors de précédentes audiences de cabinet. Ils connaissent leur éducateur, leur avocat et le parquet, comme le greffier. Mais vous, je ne pense pas. Faudrait il vous présenter en début d’audience ce qui me paraitrait légitime et respectueux de leur personne. Par contre, ce que je perçois, c’est l’écoute particulière de l’assesseur quand c’est un homme ou une personne de même origine géographique : la même ville, le même quartier, la même origine culturelle, sachant que le sujet est sensible

Je sais que les assesseurs reçoivent une formation juridique assurée par votre fédération et cela est surement indispensable pour avoir quelques repères pour suivre le raisonnement des acteurs judiciaires, comprendre les subtilités de la procédure pénale, le rôle de contre-pouvoir du Parquet et de la défense, les garanties apportées par les voies de recours, les différences entre la tentative et la complicité, la participation par sa seule présence à un vol en réunion et l’ENM propose des sessions sur des sujets touchant à la justice des mineurs dans le cadre de la formation continue…. Mais sur le fond, votre légitimité ne vient pas de vos compétences juridiques, vous n’êtes pas choisis pour cela mais pour votre connaissance des questions touchant aux jeunes issus de milieux privilégiés ou non, que vous devez juger sans discrimination, qu’ils soient délinquants occasionnels ou multi récidivistes, odieux ou sympathiques, très jeunes ou proches de la majorité, insolents ou respectueux de l’autorité.

Vous êtes confrontés comme nous au devoir de rendre la justice, auprès de jeunes parfois multi réitérants, parfois d’une très grande violence avec le souci de protéger les victimes qui sont le plus souvent d’autres jeunes , bien souvent aussi vulnérables. Comment et à quel moment utiliser la sanction sur un plan pédagogique, l’éloignement et l’enfermement pour des jeunes qui se mettent en danger et mettent en danger les autres ?
Ces questions sont difficiles, surement doivent elles être partagées avec les parents et les victimes pour que cette justice soit perçue comme juste et pertinente. Trop d’angélisme est aussi critiquable qu’une sévérité aveugle. Vous êtes nos interlocuteurs en cours de délibérés, le débat doit selon moi être au cœur des discussions après l’examen de la culpabilité.

C’est en cela que la collégialité est source de richesse et apporte une garantie contre l’erreur de jugement, on peut se tromper mais trois intelligences formatées différemment valent mieux qu’une seule. Et en ce qui concerne les mineurs, le législateur a compris dès 1945 qu’il fallait non seulement trois juges mais une majorité venant d’horizons autres qui puisse enrichir et préserver la complexité des parcours d’un mineur. En quelque sorte cette formation apporte un regard pluri disciplinaire sans l’annoncer en tant que tel.

Après ces observations un peu générales, j’ai essayé de réfléchir à l’évolution possible des assesseurs à une époque où l’on cherche à associer la société civile à l’oeuvre de justice, à rendre la justice plus accessible, plus proche, plus rapide, et mieux comprise, en un mot plus efficace. Quelles nouvelles fonctions pourrait-on attribuer aux assesseurs des tribunaux pour enfants ?

On ne peut qu’adhérer à la feuille de route donnée aux commissions chargées de réfléchir à la justice du XXIème siècle. Ce qui est aussi une réalité, c’est l’insuffisance des moyens donnés à la justice pour régler un contentieux toujours plus important et plus complexe. Comment trouver d’autres moyens de règlement des litiges à moindre frais ? Pourquoi pas si ces règlements de conflit sont équitables, adaptés et bien acceptés. La justice restaurative est une piste très intéressante et mérite qu’on se lance dans l’expérimentation , éclairés par l’expérience de pays comme le Canada ou le Brésil. L’idée serait de faire appel à des médiateurs qui recevraient une formation spécifique ; les assesseurs seraient des médiateurs au profil intéressant qui cumuleraient pour ceux qui seraient candidat une compétence de médiateur et une compétence de juge non professionnel siégeant au TE.

Une autre piste est le contentieux qui pourrait ne plus relever de la justice pénale mais des communes. Les assesseurs seraient ils favorables à une intervention aux côtés du maire ou son représentant ?

Je discutais dernièrement de cette question à notre réunion de bureau au sein de l’AFMJF. Certains collègues déploraient que trop d’assesseurs soient encore bien isolés, ne connaissant pas manifestement votre association. D’autres suggéraient que des réunions soient organisées au sein du tribunal pour enfants pour faire se rencontrer les juges des enfants, les assesseurs sur un ordre du jour pensé collégialement, que les assesseurs intéressés puissent visiter par exemple le quartier des mineurs,un CEF, un CER, rencontrer le responsable des avocats de mineurs, rencontrer les éducateurs de l’UEAT, du STEMO … et que des liens plus étroits puissent se construire pour que les assesseurs investissent pleinement leur fonction et ne soient pas taisants au cours des audiences. Cette fonction d’assesseur n’est pas toujours facile et dépend aussi de la personnalité du président. Nous même pouvons témoigner de la richesse que peuvent avoir des délibérés ou au contraire de la tyranie que peut exercer un collègue ou plus simplement de l’ennui d’une audience où l’on reste globalement passif. Donc, je ne peux qu’encourager les collègues et les assesseurs à penser le fonctionnement de la juridiction des mineurs de façon plus concertée pour permettre un fonctionnement le plus satisfaisant t possible des TE. Nos deux associations pourraient d’ailleurs penser ensemble une dynamique originale dans les régions ou les juridictions à laquelle pourrait être associés les avocats spécialisés pour enfants.

Je vous propose de nous revoir très vite non pas collectivement hélas, beaucoup d’entre vous viennent de bien loin mais avec votre président ou votre bureau.

Je vous remercie de votre attention et du travail de qualité que vous réalisez pour la justice des mineurs.

Marie-Pierre Hourcade, présidente de l’AFMJF