Justice des mineurs et déjudiciarisation en Ecosse
Rapport de stage de Monsieur Laurent Gebler, vice-président au tribunal de grande instance de Libourne
Stage effectué en Ecosse du 4 au 15 octobre 2004
Lieu du stage :
– 1ère semaine auprès de la Sheriff Court de HAMILTON (à 30 km de GLASGOW) :
assistance aux audiences civiles et pénales : audience sur la détention provisoire (custody), affaires familiales (children welfare), audiences pénales pour adultes et pour mineurs de plus de 16 ans, audience de recours contre les décisions du children panel (Reporter Hearing)
entretiens avec les Sheriffs et avec le Procurator Fiscal (procureur auprès de la Sheriff Court)
assistance à deux « Children’s Hearings » ; entretien avec les « Reporters » et avec les membres du Children’s Hearing
– 2ème semaine à EDIMBOURG
une journée au Scottish Executive for Justice (ministère de la Justice écossais)
visites et assistance à des audiences de la High Court (jugement en première instance des infractions les plus graves) et de la Crown Court (cour d’appel)
entretiens avec des avocats (sollicitors et advocates)
visite de la maison d’arrêt
Objectifs du stage et problématique :
Au travers des réformes récentes et en gestation [1], la France est en train de remettre en question la place et la fonction de la Justice dans le traitement de la délinquance des mineurs et de l’enfance en danger.
Notre système, qui repose depuis plus de cinquante ans sur l’intervention en première ligne de la Justice dans les situations impliquant des mineurs (au pénal comme au civil), au travers d’une délicate alchimie entre l’éducatif et le judiciaire, se trouve de plus en plus interrogé, voire remis en question, et pour des raisons différentes, par le Politique, par les professionnels de l’enfance et par nos engagements internationaux.
Parmi ces interrogations récurrentes, et parfois contradictoires :
– Le juge des enfants a-t-il encore les moyens de traiter à la fois les mineurs délinquants et les mineurs en danger dans leur famille ? Sa fonction naturelle n’est-elle pas avant tout de répondre aux attentes sociales à l’égard des premiers cités, quitte à laisser les services sociaux s’occuper des seconds ?
– D’un autre côté, la Justice a-t-elle vocation à répondre à toutes les situations impliquant des mineurs délinquants, même très jeunes, et à intervenir de façon souvent très précoce dans l’exercice de l’autorité parentale lorsque celle-ci s’avère déficiente ?
– Cette intervention judiciaire précoce ne présente-t-elle pas des effets pervers : désengagement des institutions intermédiaires qui ne jouent plus leur rôle (Famille, Ecole, associations, services de prévention…), atteinte excessive aux libertés individuelles et aux droits des familles, stigmatisation des parents, banalisation de l’institution judiciaire, engorgement des cabinets des juges des enfants… ?
– Comment concilier nos institutions avec les engagements internationaux de la France, et notamment avec l’article 40 de la Convention Internationale des Droits de l’enfant qui demande aux Etats de prendre des mesures, chaque fois que cela est possible et souhaitable, pour traiter les enfants qui ont enfreint la loi sans recourir à la procédure judiciaire, tout en respectant les droits de l’homme et les garanties légales ?
– L’articulation entre la protection administrative et judiciaire de l’enfance est-elle suffisamment respectueuse des droits des familles et ne conduit-t-elle pas naturellement à une ingérence abusive de l’Etat au travers de la Justice ? Ne gagnerait-on pas à davantage de clarté et de transparence dans la délimitation entre ce qui relève de l’aide négociée et ce qui relève de la protection imposée ?
La réponse politique à certaines de ces interrogations dégage une tendance qui apparaît nettement depuis quelques années, consistant à dissocier le traitement de l’enfant délinquant de celui du mineur en danger : pour le premier, une intervention judiciaire précoce, systématique et réhabilitant la sanction, avec des instruments d’intervention éducative spécifiques[2]. Pour le second, la perspective d’un désengagement judiciaire au profit de l’Administration se fait jour, au travers des projets de décentralisation.
L’intérêt de l’observation du système écossais est de proposer une piste alternative entre le maintien d’un statut contesté, et des perspectives qui sont en train de mettre à mal l’esprit et l’originalité de notre système de prise en charge de l’enfance déviante.
La philosophie du système écossais, telle que résultant du Children Act[3] de 1995, est très proche de la notre, et peut être résumée ainsi :
– le mineur délinquant, bien que coupable, a avant tout besoin de guidance et de contrôle ;
– l’enfant ne saurait être considéré de façon isolée, mais dans un cadre familial qu’il faut aussi prendre en compte.
En France cette philosophie, consacrée en 1945 et poursuivie en 1958, est incarnée par un magistrat spécialisé, le juge des enfants, qui est en charge à la fois de l’enfance en danger et des mineurs délinquants, au travers d’une procédure certes judiciaire mais relativement informelle.
En Ecosse, la mise en oeuvre des ces orientations ne repose pas sur la personne d’un juge, mais sur une implication forte du corps social incarnée par une institution originale, le Children’s Hearing, rigoureusement encadrée par une procédure garantissant les droits et libertés des familles et des mineurs. En effet, ainsi que le souligne le Children Act, le système judiciaire, de tradition accusatoire, est peut-être adapté pour discuter des questions relatives à la commission des faits, mais inapproprié pour établir et discuter des besoins de l’enfant ; il précise également que le non recours au judiciaire n’implique pas une procédure informelle.
La première remarque qui s’impose est que l’Ecosse, qui partage avec la France l’idée selon laquelle l’enfant délinquant a besoin avant tout d’être aidé, contrôlé et rééduqué, a su pousser jusqu’au bout la logique du raisonnement : la commission d’un acte de délinquance (par un mineur de moins de seize ans) est un cas d’ouverture d’un dossier de protection de l’enfance, au même titre que l’absentéisme scolaire ou les négligences parentales par exemple. Des dérogations sont toutefois possibles pour certains mineurs particulièrement difficiles, ainsi que pour les 16-18 ans, à l’égard desquels l’institution judiciaire reprend sa place.
L’instauration d’une institution tierce, le « Reporter » et le « Children Hearing », entre les services sociaux et la Justice, mérite une attention toute particulière, à l’heure où nous envisageons en France un simple transfert de pouvoirs entre la Justice et l’Administration.
Enfin, la question de la compatibilité entre une justice négociée et le respect des garanties procédurales, qui fut au coeur des débats français en 2002 lors de la réforme de la procédure d’assistance éducative, peut être éclairée par l’exemple écossais.
I - Le traitement de la délinquance juvénile :
Textes de référence : le « Children Scotland Act 1995 » et le « Criminal Procedure Scotland Act 1995 »
En Ecosse, seul le mineur de moins de seize ans bénéficie d’un régime spécifique et très peu judiciarisé. Le jeune de 16 à 18 ans relève en principe du droit commun, avec cependant des possibilités de poursuite des mesures éducatives ordonnées avant 16 ans.
L’âge minimum en dessous duquel les poursuites pénales sont impossibles est fixé à huit ans, conformément aux dispositions de l’article 40 de la C.I.D.E qui prescrit aux Etats de fixer un âge minimum pour les poursuites pénales. Rappelons que la France reste l’un des derniers états européens qui laisse à l’appréciation des juges le soin de définir au cas par cas si le mineur était ou non doué de discernement lors de la commission de l’infraction[4].
Les mineurs de 8 à 16 ans peuvent théoriquement être traduits en justice. Dans la pratique les poursuites pénales sont exceptionnelles[5], et réservées aux actes les plus graves (meurtre, viol…) ou aux mineurs qui ont fait l’objet de nombreuses mesures ordonnées par le Children’s Hearing, et qui ne paraissent plus relever d’un traitement éducatif. Ce peut être également le cas en matière d’infractions commises par un majeur avec un mineur, à condition que ce dernier ait plus de 14 ans. En dessous de cet âge, la scission du dossier est obligatoire.
Toutefois, des « fenêtres judiciaires » auprès de la Sheriff Court sont ouvertes pour des mineurs de moins de seize ans traduits devant les Children’s Hearings, notamment lorsqu’ils contestent l’infraction, ou lorsqu’ils relèvent appel de la décision prise. Dans ce cas, le Sheriff tranche le point de droit et renvoie ensuite le dossier au Children’s Hearing (cf infra). Le Sheriff peut également être saisi pour prendre des mesures urgentes dès la commission de l’infraction, avant que le Children Hearing n’ait pu être réuni.
Les entretiens que j’ai pu avoir avec plusieurs « Procurators Fiscal » (procureur auprès de la Sheriff Court) confirment le consensus qui existe en Ecosse autour de cette déjudiciarisation. Il est d’ailleurs surprenant pour un magistrat français d’apprendre que la plupart des infractions relevées à l’encontre de mineurs de moins de 16 ans ne sont pas transmises au Prosecutor Fiscal par les services de police, mais directement au « Reporter » aux fins de saisine du Children’s Hearing . Certes, les phénomènes de délinquance juvénile sont peut-être moins aigus qu’en France, mais les Ecossais s’accordent à considérer que la Justice n’est pas nécessairement la mieux placée pour répondre aux actes déviants commis par de jeunes enfants.
Les mineurs de 16 à 18 ans relèvent en principe du droit commun : la Sheriff Court pour les « summary offenses » (celles pour lesquelles une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans ne peut être prononcée) ou la « High court » pour les « indictable offenses », infractions les plus graves[6].
Toutefois, si le mineur de plus de seize ans faisait l’objet d’une mesure de supervision[7] décidée par le Children’s Hearing dans le cadre d’une procédure antérieure, le Sheriff et la High court doivent demander un avis au Children’s Hearing , et peuvent décider de lui remettre le mineur plutôt que le juger eux-mêmes.
Si le mineur de plus de seize ans ne fait pas l’objet d’une mesure de supervision antérieure, et qu’il est à moins de six mois de sa majorité, le Sheriff qui l’a déclaré coupable peut le remettre au Children’s Hearing pour décider d’une mesure.
Lorsqu’un mineur, quel que soit son âge, est poursuivi en Justice devant la Sheriff Court, une procédure spéciale est prévue :
– un rapport social doit être adressé au Sheriff par la « local authority » (services sociaux de secteur)
– publicité restreinte de l’audience
– assistance obligatoire de l’enfant, par un avocat ou, à défaut, par toute personne utile (parent, gardien…)
En revanche, les magistrats ne sont pas spécialisés, et ne semblent d’ailleurs pas souhaiter le devenir[8]. Il faut cependant bien rappeler que, dès lors que le juge ne s’implique pas dans le processus éducatif, la question de la spécialisation ne se pose pas dans les mêmes termes qu’en France.
Toutefois, doit être soulignée l’expérience menée depuis plus d’un an à la Sheriff Court de Hamilton, consistant notamment à créer des audiences spéciales pour les jeunes délinquants de 16 et 17 ans (Youth Court) et, d’autre part, à faire en sorte que les affaires soient jugées beaucoup plus rapidement que les autres afin de prévenir la récidive. Des moyens supplémentaires ont également été mis à la disposition de la police, du Procurator Fiscal et de la Youth Court, en lien avec le Reporter.
Quelles mesures peuvent être décidées en justice ?
Lorsque le mineur (en principe de plus de seize ans, exceptionnellement de moins de seize ans) est déclaré coupable par le Sheriff ou la High Court (par le plaider coupable, ou à l’issue d’un procès avec ou sans jury), les mesures suivantes peuvent être prises (non différentes des majeurs) :
– avertissement (admonished)
– dispense de peine (discharged)
– amende
– mesures de probation (jusqu’à trois ans)
– indemnisation de la victime[9] (payment of compensation)
– ajournement (difere the sentence)
– community service (T.I.G.)
– bracelet électronique (tags)
– emprisonnement (sans maximum legal)
Les mineurs de moins de seize ans font en principe exclusivement l’objet de mesures éducatives (supervision) prononcées par le Children’s Hearing : mesure de milieu ouvert ou placement.
La question de la détention provisoire :
Elle n’est pas envisagée de façon fondamentalement différente pour les mineurs que pour les majeurs. Il est important de rappeler une règle essentielle du droit écossais, selon laquelle toute personne placée en détention provisoire (custody) doit être jugée dans un délai maximum de 110 jours. Les Ecossais sont très fiers de respecter ce principe qui les place en tête des pays européens en la matière[10].
En tout état de cause, un mineur ne peut être placé en détention provisoire avant l’âge de 14 ans.
S’il doit l’être, il est autant que possible remis à l’autorité locale en requérant une « secure accomodation », en d’autres termes un centre fermé spécialisé pour mineurs[11]. A défaut, l’enfant peut être remis à toute structure adaptée choisie par l’autorité locale. En cas de mauvais comportement, le juge peut décider d’envoyer le mineur en prison.
II - Les Children’s Hearings
Le Children’s Hearing est une institution originale, composée de citoyens, chargée d’ordonner des mesures éducatives à l’égard des mineurs âgés en principe de moins de 16 ans, délinquants ou en situation de danger dans leur famille.
Son intervention se situe à l’interface entre les services sociaux, qui travaillent avec les familles dans le cadre d’une aide consentie, et la Justice qui n’intervient que ponctuellement pour dire le droit.
Les dossiers sont préparés par un « Reporter » indépendant, fonctionnaire[12], qui reçoit les signalements des services sociaux et les procédures de police, qui réunit le Children’s Hearing et qui saisit le Sheriff le cas échéant, notamment lorsque le mineur ou sa famille conteste les fondements de l’intervention. En ce cas, il se rend à l’audience de la Sheriff Court pour apporter toutes les informations utiles.
Schématiquement, la procédure se déroule en deux temps : une première étape consiste, dans le cadre d’une audience à laquelle les parents sont tenus de venir avec les enfants, à discuter des fondements de l’intervention du Children’s Hearing (grounds of referrals), tels que rédigés par le Reporter au vu du signalement des services sociaux ou de la procédure de police.
Si le mineur et ses parents acquiescent à ces fondements, des mesures éducatives (mêmes imposées) peuvent être décidées, à l’issue d’un dialogue avec la famille et d’une recherche de son adhésion.
Si les fondements sont contestés (infraction non reconnue par le mineur, négligences ou mauvais traitements niés par les parents…), le Reporter renvoie le dossier au juge qui tranchera. Si tout ou partie des fondements sont retenus par le Sheriff, le dossier revient au Children’s Hearing qui décide des mesures à prendre.
Quelques points paraissant particulièrement dignes d’intérêt méritent d’être développés dans ce rapport, en ce sens qu’ils peuvent permettre d’éclairer nos débats actuels :
– la distinction claire entre les mesures d’assistance aux familles et les mesures de protection de l’enfance
– Les critères de saisine de l’autorité susceptible d’imposer des mesures de protection
– le respect des droits des familles.
1- La distinction entre mesure de prévention généraliste et mesure de protection de l’enfant
La France s’est dotée d’un dispositif d’aide aux familles, sous la responsabilité des Conseils généraux, qui repose sur un système de « guichet unique » où l’assistante sociale de secteur traite de l’ensemble des difficultés sociales d’une famille : problèmes de logement, d’insertion sociale, difficultés financières et… problèmes relatifs à la prise en charge des enfants mineurs.
Des parents peuvent ainsi très facilement solliciter le Conseil général[13] aux fins d’obtenir une aide matérielle, éducative ou psychologique de nature à les aider à résoudre les difficultés rencontrées dans l’éducation de leurs enfants, ou pour tout autre problème d’ordre social. De même, cette aide leur est parfois directement proposée par le Conseil général, notamment lorsque les services sociaux ont été alertés par des tiers (Ecole, hôpital, voisins, membres de la famille…) au sujet de la situation préoccupante d’un enfant.
Tout le problème est de déterminer le moment à partir duquel l’aide consentie devient insuffisante pour protéger l’enfant, et que des mesures à caractère contraignant doivent pouvoir être appliquées. De même, qui prend la décision de faire basculer la mesure d’aide globale et contractualisée dans le champ de la protection de l’enfance ?
En France, ce sont le plus souvent ceux-là mêmes qui ont obtenu la confiance de la famille, qui ont parfois été sollicités spontanément par les parents, qui décident, sans débat obligatoire avec eux, de saisir la Justice pour protéger l’enfant[14]. De ce fait, les parents vivent souvent très mal le fait de se retrouver devant un juge sans avoir pu préalablement s’expliquer : même si le dialogue existe dans le cabinet du juge des enfants, la pratique permet de constater que le processus judiciaire, une fois engagé, est souvent irréversible.
Certes, il pourrait être objecté que le procureur de la République est chargé de faire le tri des signalements, et de ne saisir le juge des enfants que des situations qui le justifient. Dans la pratique, la plupart des signalements d’enfants en danger transmis par les services sociaux conduisent à une saisine du juge des enfants par le Parquet, faute de temps et de moyens pour vérifier les informations, mais également faute de débat contradictoire à ce stade de la procédure.
En Ecosse, la décision de saisir l’autorité susceptible de prendre des mesures contraignantes pour la protection de l’enfant est prise par une institution tierce, indépendante des services sociaux comme de la justice. Le Reporter, qui reçoit les « signalements », peut tout à fait les renvoyer à l’expéditeur, comme il peut demander un complément d’enquête. S’il estime que les faits soumis entrent dans le cadre des « grounds of referrals », il doit expressément rédiger ces derniers par référence au Children Act et réunir sur cette base un Children’s Hearing.
Lors de la première audience du Children’s Hearing , le débat avec la famille, dont la présence est obligatoire, tout comme celle des enfants, ne portera que sur la reconnaissance ou pas de ces fondements, et donc sur la pertinence du passage de la prévention à la protection.
Quelle que soit la forme qu’elle pourrait prendre, il nous semble, pour avoir observé le système écossais, que la création en France d’une instance neutre et contradictoire de régulation, entre les services sociaux qui travaillent dans le cadre d’un soutien accepté par les familles, et l’institution susceptible d’imposer des mesures autoritaires (en l’occurrence la Justice), serait de nature d’une part à renforcer les droits des familles, et, d’autre part, à éviter une judiciarisation excessive de certaines situations. L’expérience montre en effet que beaucoup de signalements débouchent sur une saisine du juge, non pas parce que l’enfant est en danger grave, mais pour des motifs autres [15].
Si la tradition anglo-saxonne conduit naturellement à la désignation de citoyens pour composer une telle instance, d’autres pistes pourraient également être explorées : associations, Protection Judiciaire de la Jeunesse (actuellement en recherche d’identité), assesseurs auprès des tribunaux pour enfants (aujourd’hui sous employés)…
2- les critères de saisine :
Dans le système français, le juge des enfants peut décider de mesures éducatives dès lors que l’enfant est en danger, ou lorsque ses conditions d’éducation sont gravement compromises. Le juge des enfants saisi apprécie souverainement la notion de danger, après avoir entendu la famille et après avoir éventuellement ordonné des mesures d’instruction.
D’inspiration paradoxalement plus légaliste, le système écossais définit précisément les critères de saisine du Children’s Hearing : une mesure de supervision obligatoire ne peut être prise que si, et seulement si, elle repose sur l’un des « grounds of referrals » prévus par le Children Act 1995. A titre d’exemple, figurent parmi eux l’absentéisme scolaire, la consommation excessive de drogue ou d’alcool par l’enfant, les négligences en matière de soins médicaux ainsi que… les actes de délinquance commis par l’enfant[16].
Dans les faits, l’ensemble de ces critères recouvre tout le panel des situations de danger conduisant à l’ouverture de dossiers d’assistance éducative en France, à l’exception des actes de délinquance commis par l’enfant, qui font l’objet dans l’hexagone d’un traitement spécifique dans un cadre juridique différent.
La principale différence réside dans la rigueur avec laquelle les fondements de l’intervention obligatoire sont définis : dans la pratique, le juge français se contente souvent de relever une série de faits, dont certains sont plus ou moins reconnus et d’autres pas, et de motiver le danger par écrit à l’aide de formules parfois très générales. En outre, les démarches de détermination des critères du danger, fondement de l’intervention, et de prise de décision au fond ne sont pas toujours très bien distinguées[17].
En Ecosse s’instaure obligatoirement un débat préalable autour des fondements de l’intervention et, tant que ce débat n’est pas purgé (au besoin en recourant au Sheriff pour le trancher) aucune mesure ne peut être mise en oeuvre, sauf situation réellement urgente et grave [18]. Si certains éléments ne sont pas considérés comme établis, l’intervention éducative obligatoire ne peut se fonder sur eux. En revanche, s’ils sont établis ou reconnus, on ne revient pas dessus et on passe à l’étape suivante.
Ainsi, les champs de la prévention généraliste et de la protection de l’enfance sont clairement dissociés et repérés.
3- Le respect des droits des familles :
Il est tout à fait surprenant de constater que les Children’s Hearing , composés de citoyens, obéissent à une procédure beaucoup plus stricte que celle imposée aux juges des enfants français par le code de procédure civile.
Les débats animés qui ont accompagné l’introduction dans la procédure française en mars 2002 de prescriptions renforçant la place et les droits des familles (parents et enfants) dans le processus judiciaire, ne semblent pas avoir cours en Ecosse.
Pourtant, rappelons-le, le système écossais n’est pas un système à dominante accusatoire : l’audition des parents et des enfants par le Children’s Hearing , sous la conduite de son « chairman » (président) ressemble à s’y méprendre à une audience d’assistance éducative dans le bureau du juge des enfants : un lieu déjudiciarisé (un local en ville), un dialogue direct entre les « juges » et la famille, des enfants qui courent partout et une décision qui est annoncée immédiatement à l’issue de l’audience.
Pourtant, cette apparence de non formalisme dissimule un respect scrupuleux de certaines règles procédurales : les familles ont reçu avant l’audience les « grounds of referrals » rédigés par le Reporter et reprenant les éléments du signalement, la présence des parents détenteurs de l’autorité parentale est obligatoire (ils peuvent être sanctionnés s’ils refusent de venir), la convocation des enfants est systématique, les travailleurs sociaux ayant participé au signalement initial sont très souvent convoqués comme témoins[19], les débats portent sur des points précis et indiqués à l’avance (la reconnaissance des fondements ou les mesures à prendre), chaque assesseur annonce son point de vue et sa décision devant la famille et sans concertation préalable avec ses collègues (la majorité l’emporte), les parents et l’enfant sont informés obligatoirement de leur droit de contester la décision devant le Sheriff.
A titre plus anecdotique, j’ai été frappé du soin que prenait le « chairman » à présenter à la famille chacun des assesseurs personnellement, le Reporter ainsi que … le juge étranger présent dans la salle.
Conclusion :
Le fait d’avoir ciblé le thème de mon stage sur la « déjudiciarisation » de la justice des mineurs n’était certes pas neutre au départ. Il s’agissait avant tout, à une période où nos certitudes sont bousculées, de s’inscrire dans une démarche d’éclairage et de propositions, à partir d’une expérience unique en Europe.
Tous les aspects du système écossais n’ont pourtant pas emporté ma conviction : qu’il s’agisse de mineurs de moins de seize ans enfermés dans des centres clôturés sans avoir commis de délit pour autant, de membres de Children’s Hearing dont la compétence en matière de protection de l’enfance peut paraître hasardeuse[20] ou d’un système judiciaire très lourd dans son fonctionnement dès lors qu’il faut faire appel à lui, l’étranger que j’étais est parfois demeuré dubitatif…
J’ai bien conscience également que chaque système est avant tout le fruit d’une philosophie et d’une tradition parfois très ancrées dans la conscience collective, qu’il s’agisse de la place du citoyen dans le système judiciaire, de l’intervention de l’Etat dans les dynamiques familiales ou de la conception de l’intérêt de l’enfant.
Pourtant, certaines réformes récentes attestent d’une perméabilité de plus en plus importante de nos conceptions traditionnelles aux influences extérieures, même émanant de systèmes a priori très différents du notre[21], et laissant ainsi entrevoir des perspectives d’évolution.
En France, la garantie de la protection de l’enfant repose essentiellement sur la personne d’un magistrat spécialisé, facilement accessible et soumis à une procédure et à des règles de fond relativement peu contraignantes.
La France a longtemps été très fière de son système de protection de l’enfance, et à juste titre. L’institution du juge des enfants, avec une compétence étendue et sa spécialisation, a montré de réels atouts.
Aujourd’hui, elle est remise en question, pour de multiples raisons qu’il n’y a pas lieu d’analyser ici. Pour répondre à ces interrogations, les regards semblent de plus en plus converger vers le modèle anglo-saxon traditionnel, avec des services sociaux omnipotents et un juge, non spécialisé, simple arbitre de la protection de l’enfant et sanctionnateur des infractions commises par celui-ci.
Le modèle écossais a le mérite de proposer une réponse médiane, qui autorise un compromis entre la nécessaire protection de l’enfant et le respect des familles, entre la toute puissance de l’Administration et le tout-judiciaire, entre le formalisme protecteur des droits et le dialogue indispensable pour faire évoluer les situations.
Puissions-nous peut-être, avant de sacrifier un système qui a fait ses preuves, ou au contraire de se crisper sur nos forteresses, savoir ouvrir les yeux vers l’étranger, et peut-être tout particulièrement vers des pays qui, à l’instar de l’Ecosse, partagent notre philosophie tout en proposant des perspectives différentes.
Fait à LIBOURNE, le 25 novembre 2004
ANNEXE
LE SYSTEME DES CHILDREN’S HEARINGS EN ECOSSE
(Notamment à partir de l’ouvrage « Children’s Hearings in Scotland » de Kenneth McK. Norrie (ed. W.GREEN / Sweet and Maxwell)
Création dans le Social Work of Scotland Act de 1968, entré en vigueur en 1971, suite au rapport du Kilbrandon Committee.
Revision par le Children Scotland Act 1995, notamment pour l’adapter aux dispositions issues de la Convention internationale des droits de l’enfant.
I- Philosophie du système :
– le mineur délinquant, bien que coupable, a avant tout besoin de protection, guidance et contrôle ;
– le système judiciaire, avec sa tradition accusatoire, est certes adapté pour discuter des questions relatives a la commission des faits, mais inapproprié pour établir et discuter des besoins de l’enfant ;
– l’enfant ne saurait être considéré de façon isolée, mais dans un cadre familial qu’il faut aussi pouvoir prendre en compte : si le Children’s Hearing peut imposer des mesures à l’enfant et non à ses parents, ceux-ci ont en revanche l’obligation de venir aux audiences et de coopérer avec les services sociaux mandatés ;
– si le cadre des Children’s Hearing peut paraître assez informel, la procédure elle-même ne l’est pas : le Children’s Hearing est quasiment un tribunal, avec des standards imposés par les règles internationales, ainsi que la possibilité de recourir a des mesures contraignantes : ce serait un contresens que de considérer la procédure des Children’s Hearing comme informelle ;
– liberté de décision des Children’s Hearing dans le cadre des « grounds of referral » acceptés ou établis : ce sont alors avant tout les besoins de l’enfant qui sont pris en considération.
Deux faiblesses légales du système :
– la place du père naturel, non reconnue comme ayant une relation de droit avec l’enfant (sauf en matière de succession, d’aliments et de prohibition de l’inceste) ;
– pas d’aide juridictionnelle si les parents ou l’enfant veulent se faire assister d’un avocat devant le Children Hearing. Certes le recours à l’avocat gratuit est possible en appel devant la Sheriff court (pour l’établissement des grounds of referral ou appel de la décision), mais pas pour la détermination des mesures a prendre, alors que c’est le moment ou la parole de l’enfant doit être le plus portée.
II- Composition et fonctionnement
Les Children’s Hearing sont composés à partir d’une liste de personnes (Children Panel) qui se sont portées volontaires au niveau local, et ont été nommées par le ministère de la Justice écossais. Régulièrement, des campagnes de presse invitent les citoyens à se porter volontaires pour intégrer le « children’s panel » local.
La liste des noms et adresse des membres choisis du children’s panel sont publiés par chaque autorité locale
La composition des Children’s Hearing est faite parmi cette liste. Chaque Children’s Hearing doit être mixte.
L’audience est conduite par le « chairman », membre le plus expérimenté : au début de l’audience, il doit expliquer les objectifs de l’audience, les grounds of referral établis par le reporter, afin de vérifier s’ils sont ou non acceptés par la famille.
Il doit informer la famille du contenu du dossier (copie envoyée à la famille avant l’audience).
L’audience est en principe publique. Si le Children’s Hearing a décidé de faire sortir provisoirement une partie ou un journaliste, il doit à son retour lui donner connaissance de la substance de ce qui s’est dit en son absence.
Une fois la décision prise, le chairman doit informer l’enfant, l’administrateur et les parties raisons de la décision, du droit de faire appel de celle-ci et du droit de demander la suspension de l’exécution provisoire nonobstant l’appel
L’audience terminée, le chairman doit rédiger les motifs de la décision, et éventuellement signer les mandats (infra)
Le reporter
Il est seul compétent pour porter une affaire devant le Children’s Hearing : c’est lui qui rédige les grounds of referral .
Il peut également décider de ne pas donner suite à un signalement. Mais une fois la procédure engagée, il n’est plus maître de la suite à donner.
Les reporters sont employés par la Scottish children’s reporters administration [SCRA] et doivent être indépendants des autorités locales.
L’enfant :
Seul l’enfant de moins de 16 ans est pris en compte par le système des CH, tout au moins au départ de la procédure. Il peut en revanche faire l’objet d’une mesure de protection jusqu’à l’âge de 18 ans.
L’enfant a le droit et le devoir de venir au Children’s Hearing . S’il peut être relevé de son obligation, on ne peut pas lui interdire d’être présent, à aucun stade de la procédure.
Les « relevant persons » ou parties :
Ce sont celles qui hormis l’enfant ont l’obligation de répondre aux convocations, et qui ont qualité pour accepter ou refuser les grounds of referral :
– parent détenteur de l’autorité parentale : mère, père si marié avec la mère, ou s’il s’est vu accorder l’autorité parentale par decision de justice
– le gardien de droit ou de fait
Les « safeguarders » ou administrateurs ad hoc
Le CP comme le sheriff peuvent designer un safeguarder pour représenter les intérêts de l’enfant : les autorités locales doivent établir une liste des saveguarders susceptibles d’être désignés.
La « local authority »
En dehors des signalements, elle a l’obligation de mettre en œuvre les décisions des Children’s Hearing, ainsi que de suivre les enfants après l’extinction d’une mesure de supervision.
Si la « local authority » est en difficulté pour exécuter la mesure, elle doit en référer au Children’s Hearing . Mais elle peut aussi demander de l’aide a une autre « local authority », notamment lorsqu’elle ne dispose pas de lieu d’accueil adapté pour l’enfant.
III- Les grounds of referral
Une mesure obligatoire de supervision ne peut être prise que si et seulement si elle repose sur l’un des grounds of referral de la section 52 du « children act » de 1995.
Ces grounds of referral doivent être ou acceptés par les parents et par l’enfant, ou reconnus comme fondés :
– par le sheriff après recours,
– par un tribunal suite a certaines procédures spécifiques,
– par une cour criminelle qui a condamné les parents (en ce cas les faits sont considérés comme établis),
– parce que l’enfant a plaidé coupable ou a été reconnu coupable d’une infraction.
Les conditions pour établir les « grounds of referral » :
Dans tous les cas, l’enfant doit être sous le contrôle d’une « relevant person » (personne qui a des droits et des responsabilités parentales sur un enfant, ou qui a la charge habituelle et durable de l’enfant).
Peu importent les raisons de la carence : maladie, incapacité, instabilité…
Situations visées :
– l’enfant est exposé à un danger moral ou à de mauvaises frequentations, avec des risques pour sa santé et sa sécurité.
Ce critère est souvent utilisé lorsque des abus sexuels sur l’enfant sont suspectés, sans être prouvés.
– l’enfant risque de souffrir excessivement, ou d’être atteint sérieusement dans sa santé ou son développement, en raison d’un manque de soins et d’attention : ce qui est pris en considération est moins les raisons de ce manque de soins que ses effets sur l’enfant
– l’enfant a été victime de certaines infractions spécialement déterminées (infractions sexuelles, violences…)
– l’enfant est membre d’une famille (ou risque de l’être), dans laquelle un autre enfant a été victime des infractions qui précèdent
– l’enfant vit avec quelqu’un qui a commis l’une de ces infractions
– absentéisme scolaire sans « excuse raisonnable »
– l’enfant a commis une infraction (+ de 8 ans)
– l’enfant a abusé de l’alcool ou de drogue, ou de médicaments
– l’enfant est pris en charge par la » local authority » : mineur isolé, sans parents, abandonné… et a besoin de mesures particulières de supervision.
IV- La procédure préalable au Children’s Hearing
1- Saisine du reporter :
– par l’autorité locale
Les autorités locales ont le devoir de mener des investigations sur les situation de mineurs en danger.
En cas d’opposition de la famille, elles peuvent même obtenir du sheriff un « protection order » les autorisant a poursuivre leurs investigations.
Si elles considèrent qu’elles ont besoin de mesures contraignantes de supervision, et que l’un des grounds of referral est établi (avec ou sans enquête complémentaire), elles transmettent le dossier au reporter, avec toutes les informations nécessaires.
– par la police :
Il peut s’agir de mineurs auteurs ou victimes. Selon les cas, la police a la faculté ou l’obligation de saisir le reporter. Il y a notamment obligation lorsque le mineur a été place en garde a vue.
Dans les faits, la plupart des procédures impliquant des mineurs de 16 ans ne sont transmises qu’au Reporter, et non au Procurator fiscal. La judiciarisation de ces infractions est exceptionnelle. Seules certaines infractions particulières pour lesquelles le procurator fiscal veut voir prononcer des sanctions échappant a la compétence des Children’s Hearing (ex : confiscation) ainsi que les crimes et délits les plus graves sont transmis aux autorités de poursuite.
Si infraction mixte, le PF peut décider de poursuivre les deux, sauf si le mineur a moins de 14 ans (scission obligatoire).
– par des tiers
Tout le monde peut saisir le reporter, y compris le mineur lui-même.
Toutefois des poursuites sont envisageables en cas de dénonciation calomnieuse.
– par une juridiction :
Les juridictions civiles (divorce, adoption…) comme pénales (poursuites contres les parents) ont la possibilité, si les « grounds of referral » existent, de signaler une situation au reporter, voire dans certains cas de le saisir formellement.
S’il s’agit d’un cas prévu spécifiquement par les grounds of referral ( parents reconnus coupables d’infraction sur l’enfant notamment), les grounds of referral sont considérés comme acquis et il n’est pas nécessaire de rechercher l’acquiescement de la famille.
2- investigation :
Une fois saisi, le reporter décide de faire procéder ou non à des investigations complémentaires, et de convoquer ou non un Children’s Hearing .
Pour les investigations, il requiert la local authority (c’est une obligation pour celle-ci d’y procéder).
Il peut aussi requérir des informations ailleurs (médecins, police…), mais sans obligation pour eux d’y déférer.
3- decision :
Le reporter peut décider de classer sans suite, s’il considère que, même lorsque des grounds of referral sont réunis, aucune mesure contraignante ne parait nécessaire. Il peut s’agir par exemple d’incidents isolés (vol, violence sur l’enfant…).
Toutefois, le classement doit être notifié a l’enfant, aux « relevant persons » et au signalant.
Il peut aussi en référer alors à la « local authority » afin qu’elle puisse envisager des mesures de guidance.
Le reporter décide de réunir un Children’s Hearing lorsque deux conditions sont réunies : grounds of referral + nécessité de mesures contraignantes.
La procédure permet la tenue préalable d’une « business meeting », réunissant le reporter et trois membres du panel, afin notamment de préparer le CH (déterminer qui doit être convoqué, si le père a ou pas l’autorité parentale, s’il faut designer un administrateur…). La famille doit toutefois être informée de la tenue de cette réunion préalable et peut y participer.
V- Le déroulement de l’audience :
1ere étape : explication par le chairman des grounds of referral
Il ne s’agit pas de discuter du bien fondé, mais seulement de recueillir l’accord ou le refus de la famille.
Si la famille ne vient pas, il s’agit d’une infraction. Toutefois, ça n’empêchera pas la décision d’être prise.
En revanche, en cas d’absence de l’enfant, le recours au Sheriff sera obligatoire, après reconvocation éventuelle : le Children’s Hearing ne peut considérer les grounds of referral comme établis sans avoir pu entendre l’enfant.
Le chairman doit ensuite expliquer en fait et en droit les grounds of referral. Pour les faits, il a pu recueillir toutes explications utiles auprès du reporter lors de l’audience préparatoire.
2eme étape : acceptation ou refus des GR
– 1er cas : tout le monde accepte les grounds of referral : le Children’s Hearing peut continuer et examiner le fond de l’affaire
– 2eme cas : dénégation totale
Dans ce cas, deux possibilités : le Children’s Hearing décide de classer l’affaire et de ne pas y donner suite, ou décide de recourir au sheriff pour trancher. Dans ce dernier cas, la famille doit recevoir des informations sur le processus judiciaire
– 3eme cas : acceptation partielle
Ou bien le Children’s Hearing décide de poursuivre uniquement sur la base des éléments reconnus, ou elle demande au reporter de saisir le sheriff.
Dans les faits se produit souvent une forme de requalification des faits : ainsi par exemple, si l’enfant ne reconnaît pas avoir commis l’infraction mais admet avoir été présent au moment des faits, le Children’s Hearing pourra se poursuivre sur le fondement des « mauvaises frequentations ». De même, si les parents nient avoir commis des abus sexuels sur l’enfant, mais qu’il est constant que l’enfant vit avec une personne qui a été condamnée pour des faits de cette nature, une mesure de supervision pourra, dans le doute, être prise sur la base de ce dernier fondement, sans qu’il soit nécessaire de recourir au Sheriff pour faire établir l’existence de l’abus sexuel.
A noter toutefois :
– lorsque le mineur n’est pas en âge de comprendre les grounds of referral, le recours au sheriff est obligatoire (comme lorsque l’enfant discernant ne vient pas) ;
– en cas de recours au sheriff, et si une mesure immédiate de protection est nécessaire, le Children’s Hearing peut délivrer un ordre (warrant) permettant que l’enfant soit mis en sécurité pendant la durée de la procédure.
VI- La procédure judiciaire
Principale caractéristique de la procédure des Children’s Hearing :
séparation claire entre l’institution qui détermine les mesures de protection, et celle qui, en cas de litige, statue sur le bien fonde de l’intervention.
Ce n’est qu’en l’absence de litige que la même instance cumule les deux fonctions.
La sheriff court est le lieu adéquat pour résoudre des litiges relatifs aux faits, et nécessitant la procédure d’établissement des preuves (témoins, interrogatoires…).
Le sheriff intervient à différents moments de la procédure :
– pour trancher le litige relatif aux grounds of referral
– en tant que juridiction d’appel des décisions des Children’s Hearing
– en cas d’urgence pour prendre des mesures de protection avant la saisine du reporter
Pour trancher le litige sur les grounds of referral : procès a l’anglo-saxonne pour la détermination des faits et de la preuve. Si les grounds of referral sont établis, le sheriff remet le dossier au reporter pour la convocation d’un Children’s Hearing. Il peut, dans l’attente, décider d’une mesure de placement, avec éventuellement une autorisation de garder l’enfant dans une « secure accomodation » (lieu d’accueil sécurisé).
S’il estime que les grounds of referral ne sont pas établis, il ne peut pas en retenir d’autres. Si le procès a révélé d’autres grounds of referral , il appartient au reporter de réunir un nouveau Children’s Hearing .
Si admission partielle, retour au reporter pour envisager des mesures sur la base des éléments retenus.
VII - Le choix de la mesure de supervision
Deux questions se posent alors, une fois les grounds of referral établis, par acceptation ou par decision judiciaire :
1- l’enfant a-t-il besoin de mesures éducatives ?
2- si oui, lesquelles sont les plus conformes a son intérêt ?
Discussion ouverte au sein du Children’s Hearing avec ses membres, la famille et les travailleurs sociaux présents. Il est fréquent d’y convier des personnes extérieures comme des enseignants, ou les services sociaux de l’autorité locale.
A ce stade, il n’est pas interdit d’élargir le débat a des faits non retenus initialement par les grounds of referral , afin de déterminer la nature des mesures a prendre. Inversement, certains fait apparaissant initialement peuvent ne pas nécessiter de mesures particulières, alors qu’elles ont conduit à l’ouverture de la procédure (ex : enfant victime d’un viol par un rôdeur).
Le paradoxe est que le Children’s Hearing peut ainsi être conduit à prendre une decision sur la base de faits qui restent discutés.
Dans la pratique, il est très rare que des litiges relatifs à des faits nouveaux conduisent a saisir la justice.
Pour le choix de la decision, il est interdit aux membres du Children’s Hearing de se retirer pour délibérer. Ils donnent leur avis motive l’un après l’autre, et le chairman annonce la decision qui emporte la majorité.
Critères de choix dans la decision (overarching principles) :
– application du principe supérieur du bien-être (welfare) de l’enfant, à l’exception du cas de la protection de la population du risque sérieux de dommage (mineur dangereux). Cet intérêt de l’enfant doit être apprécié dans une perspective à long terme, et non pas seulement en fonction de sa protection immédiate.
– prise en compte du point de vue de l’enfant, qu’il doit avoir pu exprimer seul ou par l’intermédiaire de son « guardian »
– le principe d’intervention minimum.
Toutes les parties dont l’enfant doivent se voir notifier la décision et ses motifs, ainsi que le droit d’en interjeter appel.
Quatre types de decision peuvent être prises :
– transfert du dossier à un autre Children’s Hearing
– renvoi de l’audience : information insuffisante, une partie non entendue…
Dans ce cas, possibilité de délivrer un mandat (warrant) permettant notamment le placement de l’enfant, par exemple dans un hôpital en cas d’admission urgente. Le « warrant » peut aussi ordonner des examens médicaux ou psychologiques.
En cas de placement, la période maximale est de 22 jours, depuis la date de l’admission
– non lieu (discharging the referral)
– une mesure éducative obligatoire (supervision requirement)
Parmi celles-ci, placement imposé au mineur (foyer, famille d’accueil, membres de la famille…). Le lieu du placement doit être expressément désigné. Ce ne peut être dans un établissement choisi par la « local authority ».
Le Children’s Hearing peut spécifier que certaines personnes n’auront pas connaissance du lieu du placement, en en précisant les raisons.
Le Children’s Hearing définit également les droits de visite et d’hébergement.
Possibilité également d’imposer à l’enfant des conditions particulières, mais aucun pouvoir quant aux parents. Il est également possible de limiter ou d’interdire les contacts de l’enfant avec certaines personnes, ainsi que d’imposer un traitement médical.
Cas particulier : la « secure accomodation » (placement en centre fermé)
Le Children’s Hearing n’a pas le pouvoir d’imposer une « secure accomodation », mais seulement d’y autoriser le placement de l’enfant. Lors du placement, il peut indiquer que l’enfant est susceptible d’être confie a une telle structure, mais la decision relève du responsables du service social de l’autorité locale.
Conditions :
– l’enfant doit avoir déjà été place dans un établissement ordinaire
– il est susceptible d’être mis en danger à l’extérieur ou d’être dangereux pour les autres
Si un placement en « secure accomodation » est décidé sans l’intervention du Children’s Hearing (par le Sheriff), le Reporter doit être saisi dans les 24 h et il doit convoquer un Children’s Hearing dans les 72h
VIII – Le recours au CH par la juridiction
Il arrive que des mineurs de 16 ans soient poursuivis en justice (sheriff court ou high court) dans certains cas : mineur multirécidiviste, échec des mesures éducatives antérieures, infraction particulièrement grave (crime notamment), ou infractions routières.
Quant aux mineurs de plus de 16 ans, ils relèvent également des juridictions de droit commun.
Apres reconnaissance ou déclaration de culpabilité, la juridiction a trois possibilités :
– juger le mineur
– remettre le mineur au CH
– demander au reporter de convoquer un CH pour donner un avis a la juridiction
Cas des mineurs (jusque 18 ans) qui sont déjà sous supervision :
Si poursuites devant la High court, celle-ci peut demander un avis au Children’s Hearing mais ne peut pas à ce stade lui remettre le mineur (remit for disposal)
Si poursuites devant la sheriff court (solemn or summary proceedure), celle ci a l’obligation de demander l’avis au Children’s Hearing .
Apres réception de l’avis, la SC comme la HC peuvent ou bien juger elles-mêmes, ou bien remettre le mineur au Children’s Hearing .
Cas des mineurs 16-18 qui ne sont pas déjà sous supervision :
Exclusivement pour les mineurs qui sont à moins de 6 mois de leur majorité, le mineur poursuivi pour summary proceeding (district court or sheriff court) et reconnu coupable peut, après avis du CH, lui être remis par le tribunal pour y donner suite. Dans ce cas, la culpabilité est considérée comme acquise au regard du grounds of referral .
IX - Les audiences de révision
Principe de continuité de l’intervention, tant que l’intérêt du mineur requiert son maintien. Les audiences de révision n’impliquent pas nécessairement de réexaminer les grounds of referral .
Les mesures peuvent être révisées :
– de plein droit au bout d’un an (annual review)
– à la demande de la local authority, qui doit solliciter une audience lorsqu’elle considère que la mesure peut être arrêtée, doit être modifiée ou lorsqu’elle n’a pu être mise en œuvre.
– à la demande de l’enfant ou d’une « relevant person » (après délai trois mois)
– d’office par le Children’s Hearing qui peut décider en prenant sa decision d’une révision périodique
– apparition de nouveaux grounds of referral , marquant une détérioration de la situation
– en cas de transfert de la résidence de l’enfant par l’autorité locale : audience obligatoire dans les 7 jours, des lors que l’enfant n’est plus confié a la structure initialement choisie.
– en cas de placement en « secure accomodation » (autorise par le Children’s Hearing et décidée par l’autorité locale), la decision doit être révisée dans les trois mois. Faute d’une nouvelle audience, l’autorisation devient caduque.
– en cas de placement pour adoption : si l’enfant confié est placé pour adoption, le Children’s Hearing doit être ressaisi par l’autorité chargée de l’adoption aux fins d’émettre un avis a l’attention du tribunal qui sera saisi.
X- Les mesures de contrainte (warrant)
Le Children’s Hearing peut délivrer un warrant à une autorité désignée dans certains cas :
– quant les grounds of referral ne sont pas reconnus et qu’il faut renvoyer l’affaire au sheriff
– decision de continuation du cas pour investigations complémentaires
– quand le mineur ne se présente pas au Children’s Hearing
Ces warrants permettent l’arrestation du mineur, et sa retenue dans une « place of safety » (lieu sécurisé). S’il se sauve, le mandat initial reste applicable et les personnes qui ont facilité la fugue peuvent être pénalement poursuivies.
Les « places of safety » peuvent être différents lieux, depuis un commissariat jusqu’à un hôpital ou un foyer (ou tout lieu adéquat).
Lorsque le Children’s Hearing délivre un « warrant » pour un mineur renvoyé devant le sheriff pour établissement des grounds of referral , une des conditions suivantes doit être remplie
– risque de non présentation a l’audience
– nécessité de protéger l’enfant, ou de l’empêcher de commettre d’autres infractions
Durée maximale dans ce cas = 22 jours. La situation doit être revue alors.
Si « warrant » pour investigations complémentaires, il reste valable jusqu’à l’audience suivante, et peut être renouvelé si les investigations ne sont pas terminées.
XI- L’appel
En Ecosse, tout enfant peut lui-même faire appel d’une decision de justice, sous réserve du discernement. On considère qu’au delà de 12 ans, la maturité est présumée.
Les « relevant persons » peuvent également faire appel.
Si le sheriff estime l’appel fondé, il peut :
– renvoyer le mineur devant le Children’s Hearing pour qu’il reconsidère sa decision : le sheriff doit donner les raisons de sa decision mais n’est pas tenu de donner une orientation quant à la mesure a prendre. Le Children’s Hearing devra réexaminer le cas à la lumière des observations du sheriff mais ne sera pas obligé de modifier sa decision.
– si le sheriff estime qu’il n’est plus approprié de poursuivre des mesures de supervision obligatoire, il peut décharger le mineur des futurs Children’s Hearing, en tout cas sur la base des grounds of referral précédemment déterminés.
Un recours contre les décisions du sheriff est possible devant le sheriff principal (summary offences) mais seulement en droit.
XII- Les mesures de protection urgentes
En cas d’urgence, le sheriff peut délivrer un « child protection order », a la demande de toute personne ou service.
Conditions : mauvais traitements ou risque important pour l’enfant s’il n’est pas retiré et protégé.
Autre cas : l’autorité locale peut demander un CPO lorsqu’elle a des raisons suffisantes de penser qu’un enfant est en danger, qu’elle a besoin de poursuivre l’enquête et qu’elle en est empêchée. Dans ce cas, le CPO peut requérir une personne de présenter l’enfant (exemple : le directeur de l’école), autoriser le requerrant à prendre l’enfant pour le protéger, autoriser la confidentialité du lieu de placement.
Le CPO aux fins de placement peut être accompagné d’un transfert de l’autorité parentale.
Apres un CPO, le CH doit être réuni par le reporter avant le huitième jour ouvrable suivant la decision.
[1] Notamment :
– en matière pénale : lois du 01/07/1996 et, surtout, du 09/09/2002 dite loi Perben 2
– en matière civile : décret du 15/03/2002 renforçant le contradictoire en assistance éducative, projets de loi en matière de décentralisation prévoyant un transfert de compétence aux Conseils généraux.
[2] Stages de citoyenneté, sanctions éducatives, centres éducatifs spécifiques aux jeunes délinquants…
[3] Une précision importante s’impose toutefois d’emblée : seul le mineur de moins de seize ans est pris en considération par le Children Act, même si des possibilités d’extension aux « jeunes adultes » est possible.
[4] L’article 122-8 du code pénal, créé par la loi Perben 2 dispose : « les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits et contraventions dont ils ont été reconnus coupables (…) », consacrant ainsi une jurisprudence ancienne.
[5] En moyenne 5% de infractions commises par des mineurs de seize ans sont déférées à la Justice.
[6] Contrairement à notre tradition de codification des infractions, les catégories d’infractions ne sont pas définies en fonction d’un maxima encouru, mais du maxima susceptible d’être décidé par la juridiction. Ainsi, par exemple, le prosecutor fiscal peut poursuivre une infraction grave devant la Sheriff Court, sachant qu’il prend le risque de voir le Sheriff se dessaisir par la suite au profit de la High court s’il estime que le prévenu mérite une peine supérieure à cinq ans.
[7] Mesure éducative à domicile ou placement exclusivement. Les Children’s Hearings ne peuvent pas décider de mesures pénales (avertissement, travaux d’intérêt général, probation etc…).
[8] A la Sheriff Court de Hamilton, les huit sheriffs prennent à tour de rôle l’audience de la « youth court », toujours en juge unique.
[9] Il convient de rappeler que la victime ne peut se constituer partie civile dans le procès pénal. En revanche, l’indemnisation de la victime est une peine sui generis.
[10] Il convient toutefois de préciser que ce délai n’inclut pas les investigations sur la personnalité, mais uniquement sur les faits. La police dispose donc de 3 mois pour réunir les charges. Si, par la suite, le prévenu plaide coupable ou est déclaré coupable par le jury, le juge peut le maintenir quelques temps en détention, le temps de réunir les éléments de personnalité et de pouvoir statuer sur la peine. Interrogé sur la manière de procéder pour respecter un tel délai dans des affaires complexes, le prosecutor de Edimbourg a expliqué que le moment de l’arrestation du suspect était retardé autant que possible, et n’intervenait le plus souvent que lorsqu’un maximum d’éléments ont été réunis au préalable.
[11] Je n’ai pas eu l’occasion de visiter l’un de ces centres (simple aperçu de l’extérieur). Certains sont réservés aux moins de seize ans, d’autres aux 16-21 ans. Ces établissements sont fermés et clôturés, et les mineurs ne peuvent sortir qu’individuellement, accompagné d’un membre du personnel. L’encadrement est mixte : gardiens et travailleurs sociaux. Ils peuvent recevoir aussi bien des jeunes délinquants que des mineurs sous mesure de protection.
[12] Les Reporters sont ou bien des juristes, ou bien d’anciens travailleurs sociaux.
[13] Equivalent français de la « local authority », au niveau départemental.
[14] La situation la plus évocatrice est celle de parents qui ont remis volontairement leur enfant au service de l’Aide Sociale à l’Enfance en vue d’un accueil provisoire, et qui se retrouvent convoqués quelques mois plus tard par le juge des enfants, parce que le service gardien a estimé nécessaire de signaler la situation.
[15] Recherche de l’autorité « paternelle » du juge des enfants, absence d’équipes de prévention, difficulté à travailler avec des adolescents…
[16] Voir en annexe § III la liste complète des « grounds of referrals »
[17] Au moins dans les faits, même si les textes imposent en principe une intervention en deux temps.
[18] Le Sheriff a le pouvoir de prendre des mesures d’urgence (child protection order) à charge de saisir aussitôt le Reporter pour convocation d’un Children’s Hearing dans les huit jours (voir annexe § XII)
[19] J’ai vu par exemple l’institutrice des enfants convoquée et présente à l’audience.
[20] L’une d’entre elles, avec laquelle j’ai discuté, tenait une boutique « piercing and tatoo », et m’expliquait que, ayant elle-même divorcé et rencontré quelques difficultés avec ses enfants, l’expérience du Children’s Hearing ne pourrait lui être que bénéfique ! Il faut toutefois reconnaître que les membres des Children’s Hearing bénéficient d’une formation initiale et continue qui est, paraît-il, de bonne qualité.
[21] Cf par exemple l’introduction en France du « plaider coupable ».