Article de Sarah Ernault, éducatrice au CAE-PJJ du Calvados, sur la complémentarité entre éducateur et juge en audience d’assistance éducative. Extrait de la Lettre de Mélampous de juin 2002.
Au cours de l’audience sont décidées des mesures éducatives au titre de l’ordonnance de 45 et de l’assistance éducative. Qu’en est-il de ce temps de démarrage, d’évolution ou de non lieu pour les acteurs d’une histoire qui chemine hors du palais de justice ?
Chacun dans son cadre, à sa place perçoit-il toujours authentiquement la parole et l’action de l’autre partie ; le magistrat et le travailleur social analysent-ils la situation en commun accord ?
Tout le débat de ce questionnement peut s’ouvrir sur ce thème d’accord commun. Il ne s’agit pas d’être d’accord, d’apprécier des conclusions identiques, mais d’être complémentaire afin de construire une action, un projet cohérent de son champ d’action spécifique et tenter d’atteindre un objectif réel pour et avec le jeune. Cette notion d’accord commun ne s’obtient pas naturellement, de manière inhérente aux fonctions de chacun, mais s’élabore dans le relationnel, les échanges, la communication et l’ajustement des différentes approches et points de vue.
Ce cadre de travail partenarial posé, et toutes prérogatives écartées, quel rôle chacun développera-t-il face à l’autre ?
Sur le versant éducatif, qu’attend le travailleur social de ce temps d’audience ?
L’accompagnement éducatif mis en œuvre, c’est une histoire qui se déroule. La proximité, l’action, le faire avec relèvent d’un pragmatisme qui parfois déforme, éloigne une réflexion distanciée et objective. Cette difficulté du travail éducatif, la recherche de la juste mesure, d’une approche objective et humaine est régulée par une équipe pluridisciplinaire, un savoir faire, un savoir être, un cadre professionnel garant.
Le partage de temps de vie est l’ingrédient indispensable à l’éducatif qui n’existe que par la transmission et la reconnaissance. “L’éducatif profes-sionnel ” doit être l’équilibre ultime entre un parcours de vie difficile et des théories pédagogiques. C’est là précisément que l’intervention extérieure va permettre d’établir ce frêle équilibre et de le confirmer.
Confirmer peut signifier, doit signifier de manière pertinente, remettre en cause, réorienter, appuyer, garantir le projet éducatif.
Le temps de l’audience est un temps de recentrage, d’éclairage, de distanciation. C’est une intervention extérieure au regard neuf et critique, qui de sa place de décisionnaire va accompagner le travail, l’histoire éducative tout en ayant le recul appréciable du quotidien et du relationnel parfois émotionnel.
L’accompagnement respectueux des familles, au sens très large du terme, ne peut se faire que dans une cohérence presque sans faille. La reconnaissance de la parole de chacun, jeune, famille, travailleur social et magistrat représente une garantie d’action cohérente et constructive.
Le problème de l’écrit se pose ici. Qu’en est-il des écrits professionnels éducatifs qui se doivent de rendre compte sans détour de bilans, constatations, hypothèses et propositions complètes.
L’observation ne signifie pas forcément action au sein de la situation ; en clair ce qui est constaté n’est pas évidemment entendable par les familles. De leur angle de vue sur leur propre vie et parcours, elles ne peuvent parfois pas reconnaître, comprendre l’identification d’une difficulté. L’écrit l’indique mais le sujet reste inabordé. Le magistrat reprenant chaque point est amené à tout évoquer certes ; néanmoins une certaine acceptation de la notion du temps doit être présente. Trancher dans le vif, ne pas prendre le temps d’un ménagement certain des affects, des ressentis des jeunes et de leur famille peut, à un seuil fluctuant, mettre en difficulté le travailleur social qui serait rejeté de l’espace même de la famille. Le refus de collaboration, d’adhésion, retentit alors comme un échec cuisant et dommageable. Le travail n’est plus possible.
Qu’en est-il également d’une audience au cours de laquelle le magistrat et l’équipe éducative n’auraient pas la même conclusion ?
Premier exemple : l’éducateur ne définit pas d’opportunité d’intervention ; le magistrat évalue cette nécessité ; c’est là le débat sur la notion de danger immédiat appréciée très différemment. Dans ce cas de figure, c’est un vide éducatif qui va devoir se combler en élaborant des objectifs de travail initialement non envisagés. Il faut alors admettre un temps de recentrage qui pourrait s’appuyer sur un échange entre le magistrat et l’éducateur sur les motifs même de cette décision : c’est là, la compréhension d’une remise en cause des conclusions qui peut permettre un éclairage différent et un travail effectif immédiat.
Deuxième exemple : l’éducateur propose un suivi éducatif ; le magistrat interrompt toute intervention. Au-delà d’une frustration certaine, quoi penser d’une décision dans laquelle l’intervenant le plus proche évalue un besoin et n’est pas écouté. Il peut s’agir d’une action de recentrage où le tiers vient couper une trop grande proximité qui obscurcit l’analyse. Dans une majorité des cas, il s’agit d’un acte brutal qui peut laisser des séquelles. L’intérêt n’est pas d’avoir raison mais de préparer et de ménager jeunes et familles aux décisions qu’on voudra bien prendre.
En conclusion, les échanges avec les travailleurs sociaux semblent un bon moyen d’établir cohérence, respect et garantie des droits pour chaque partie ; la bonne coordination des services permet un ajustement fonctionnel : savoir ce qu’attend et comprend chacun paraît indispensable à un travail partenarial.
Il est vrai que le temps nous manque, mais l’enjeu vaut l’effort.
Sarah ERNAULT, éducatrice.