Justice des mineurs - Une Europe plus sévère
En Grande-Bretagne, l’incarcération des mineurs n’empêche pas les récidives
Article paru dans l’édition du Monde du 04.07.07
Lorsqu’il s’est pendu dans sa prison anglaise en 2003, Joseph, 16 ans, purgeait une peine de deux ans pour avoir volé des téléphones portables. James, 18 ans, mort dans les mêmes conditions en 2004, avait été condamné à sept ans de détention pour coups et blessures. En 2006, un enfant de 10 ans s’est retrouvé devant un juge parce qu’il avait traité un camarade de « Nègre » et de « Ben Laden ». Toutefois, le magistrat a refusé de le juger et a demandé au procureur de trouver un autre moyen de le sanctionner.
En Angleterre et au Pays de Galles - l’Ecosse possède un système à part -, la justice est très dure envers les mineurs délinquants. Cette sévérité renvoie à un drame qui, en 1993, avait choqué le pays : l’assassinat du petit James Bulger, 2 ans, par deux enfants âgés de 10 ans, Jon Venables et Robert Thompson. L’image, captée par une caméra de surveillance, de l’un des deux assassins tenant la main du garçonnet et l’emmenant vers sa mort avait stupéfié et longtemps hanté les Britanniques.
Jusqu’à l’arrivée au pouvoir des travaillistes en 1997, la loi présumait l’impossibilité pour un mineur de 14 ans de faire la différence entre le bien et le mal. Le nouveau gouvernement a rejeté cette doctrine, dite doli incapax, et a durci la loi, en abaissant à 10 ans l’âge de la responsabilité pénale.
C’est l’un des âges les plus bas d’entre les autres grands pays : Canada (12 ans), France (13 ans), Allemagne, Japon, Russie (14 ans), Italie (15 ans). Cette disposition est contraire à l’esprit de la Convention des Nations unies pour les droits de l’enfant, qui recommande aux Etats d’établir un âge pénal minimal tenant compte de la maturité du jeune délinquant - mais sans préciser ce seuil.
La plupart des mineurs n’encourent pas les mêmes peines que les adultes. Ils risquent une détention maximale de deux ans. Mais cette différence de traitement disparaît pour les crimes les plus graves instruits par un tribunal ordinaire et soumis au verdict d’un jury.
Au total, trop d’enfants sont poursuivis en justice, puis détenus, et exposés à l’univers de la délinquance. Au demeurant, l’âge bas de la responsabilité pénale contredit la volonté de mieux responsabiliser les parents d’enfants à risque.
AUTOMUTILATIONS, SUICIDES
Plus de 3 300 jeunes sont détenus. C’est, en proportion, beaucoup plus qu’ailleurs en Europe. C’est aussi deux fois plus qu’il y a quinze ans. Pourtant, le nombre de délits commis par des mineurs a nettement baissé, et la grande majorité d’entre eux restent des actes non violents (le plus souvent des vols). Le ministère de l’intérieur rétorque que 7 % seulement des mineurs délinquants sont emprisonnés et que cette proportion baisse régulièrement.
Il n’empêche : 83 % des mineurs en détention sont dans des prisons, contre seulement 17 % dans des centres spécialisés. Cette situation résulte d’un triple durcissement : législatif, judiciaire et politique. Une plus grande sévérité des tribunaux et une volonté gouvernementale affichée de combattre les comportements antisociaux ont encore renforcé les articles de loi.
La surpopulation pénitentiaire chez les mineurs accroît les risques d’automutilations et de suicides, d’incidents, d’indiscipline, voire d’émeute, du fait de la cohabitation dans les cellules. Un détenu mineur sur trois craint, à un moment ou à un autre, pour sa sécurité. Beaucoup souffrent de troubles mentaux. Un nombre accru d’entre eux sont incarcérés au-delà de la distance réglementaire maximale - 80 km - censée les séparer de leur famille.
L’emprisonnement des mineurs est inefficace : quatre sur cinq récidivent dans les deux ans suivant leur libération. Ce châtiment ne devrait, selon les spécialistes, être décidé qu’en dernier ressort et pour les cas les plus graves. Ils prônent surtout une meilleure politique de prévention envers les enfants vulnérables, victimes de l’échec scolaire, des désordres familiaux, ou de troubles mentaux.
« Je serai dur avec la criminalité, et dur avec les causes de la criminalité », avait déclaré, il y a dix ans, l’ex-premier ministre Tony Blair. La première partie de sa promesse a été mieux tenue que la seconde.
Jean-Pierre Langellier