#TDM
A l’occasion de la rencontre avec des magistrats italiens organisée à Lyon en octobre 2001, Alain BRUEL, ancien président du tribunal pour enfants de Paris, a présenté cette contribution lors de la table ronde sur la Justice des mineurs et le travail éducatif. Extrait de la Lettre de Mélampous de juin 2002.
J’ai choisi de développer devant vous un sujet qui me tient à cœur parce qu’il est passé de mode depuis une vingtaine d’années malgré son importance : La dialectique du judiciaire et de l’éducatif.
Les deux dernières décennies ont vu un bouleversement complet du paysage de la protection judiciaire en raison de l’entrée en scène du Parquet, autrefois bien effacé, mais qui a pris une grande importance dans le cadre de la politique de la ville, et d’autre part de l’avocat, dans le sillage de la convention de New York, ce dernier amenant avec lui de plus grandes exigences quant au respect des droits des mineurs, et la tenue du débat contradictoire.
Ces avancées indéniables ont considérablement élargi le champ de nos préoccupations, avec toutefois un effet pervers qui a été de reléguer au magasin des accessoires des questions toujours fondamentales et dont on ne pourra jamais se libérer. Que diable les magistrats fabriquent-ils avec les éducateurs, quelles sont leurs ambitions, comment se situent leurs places respectives, et surtout à quoi cherchent-ils à parvenir quand ils se risquent dans des prises en charge éminemment problématiques de mineurs dont on s’accorde à dire qu’ils ne sont plus tout à fait ce qu’ils étaient.
Pour commencer, qu’entend-t-on par ce concept un peu cuistre de dialectique du judiciaire et de l’éducatif ? J’y vois la confrontation dynamique entre deux institutions dont les relations dépassent largement la représentation traditionnelle que l’on se fait des rapports du savoir et du pouvoir. Elle résulte directement de la responsabilité donnée par la loi aux juges des enfants français de suivre dans le temps l’application de leurs propres décisions afin de les adapter à l’évolution de la situation dont ils s’occupent.
#1#Une particularité française qui répond aux règles modernes de Beijing.
Cette particularité, confère à la protection judiciaire française une position tout à fait originale dans le monde. Loin de constituer une simple survivance du passé, elle répond pleinement aux prescriptions des règles de Beijing qui préconisent aux différents niveaux de l’administration de la justice pour mineurs, y compris pour l’application des mesures prises, l’exercice responsable d’un pouvoir discrétionnaire.
Cet exercice par le magistrat lui-même nous paraît d’autant plus incongru qu’il rejoint directement l’un des caractères fondamentaux de la relation éducative, celui de s’instaurer dans la continuité, et de s’adapter en permanence à l’évolution des personnes et du contexte vis-à-vis desquelles elle intervient.
Pour s’appliquer d’une façon adéquate à la personnalité et aux nécessités d’éducation du mineur, les interactions entre le judiciaire et l’éducatif s’effectuent dans des conditions beaucoup plus complexes que la simple lecture des textes ne permettrait de le prévoir. Elles tendent à dépasser la succession pure et simple des interventions des acteurs pour aboutir à une inter-pénétration réciproque, et à une complémentarité dynamique des actions.
Le dictionnaire Larousse donne au mot dialectique une idée de ce dont il s’agit :
- Art du dialogue et de la discussion.
- Raisonnement qui comporte des oppositions ou des diversités de pensée et s’achemine vers une synthèse.
- Evolution dans les choses, qui procède par oppositions et dépassement des oppositions.
Tels sont bien les mécanismes qui, à partir d’une dissymétrie fondamentale, permettent à la justice et à l’éducation d’accéder l’une par l’autre à une adaptation permanente à chaque cas, dont aucune codification ne pourrait fixer les modalités.
Un certain parallélisme se dégage des principes fondamentaux de fonctionnement des deux institutions.
La justice des mineurs repose, comme on l’a souvent souligné, sur une philosophie d’intervention qui tend à l’institution du Sujet, c’est à dire au passage d’une justice imposée à une justice intériorisée par ceux à qui elle s’applique.
#2#La pédagogie de la loi.
A cette philosophie correspond, dans l’action éducative judiciairement ordonnée, une mission spécifique de pédagogie de la loi par l’exportation dans la vie de tous les jours, des interdits et des exigences posés dans le bureau du magistrat.
L’intervention judiciaire se déploie dans la durée ; elle se prolonge aussi longtemps qu’il le faut, mais doit à chaque moment pouvoir justifier qu’elle est encore nécessaire.
L’action éducative s’inscrit dans le temps imparti par la décision qui la fonde ; elle doit périodiquement fournir au juge les éléments qui lui serviront à élaborer et à justifier ses décisions.
L’institution judiciaire est plurielle : Elle obéit à la distinction du Siège et du Parquet, au double degré de juridiction, au respect des règles de procédure et aux droits de la Défense.
La relation éducative s’inscrit dans une structure administrative ; elle doit tenir compte des nécessités du travail en équipe, des orientations qui naissent de la confrontation pluridisciplinaire, et de la déontologie du travail en réseau.
La justice des mineurs connaît des situations de désordre extrêmement complexes qui rendent indispensable le choix par le juge de la grille de lecture la plus pertinente et, par voie de conséquence, de l’équipe la mieux à même de traiter le problème.
De même, l’approche éducative est obligatoirement éclectique ; souvent affrontée à l’imprévu, elle emprunte aux sciences humaines les clés de compréhension qui lui permettent à chaque moment d’y faire face.
#3#Juge, éducateur, chacun son rôle.
Le juge est en charge de conduire un débat évolutif, nourri au fur et à mesure d’éléments nouveaux apparus soit à l’audience, soit dans le cours de l’action éducative. Il a idéalement pour effet de réduire progressivement la part de l’insu, dans la perspective d’une décision la plus adéquate possible.
L’éducateur a le devoir d’élaborer des projets, toujours ruinés, contrecarrés, réajustés, repensés ; d’entraîner ses interlocuteurs dans des expérimentations susceptibles de les enrichir, et de modifier les conduites inappropriées auxquelles ils se livrent.
Le magistrat, garant des libertés individuelles veille à l’exercice des droits et au respect des places généalogiques. De même, il appartient à l’éducateur d’aider les jeunes à trouver leur identité propre, et d’accompagner les parents dans l’accomplissement de leurs devoirs sans se substituer à eux ni les infantiliser.
On pourrait sans doute poursuivre le parallèle. Il paraît plus intéressant de s’attarder un instant sur le jeu du pouvoir et du savoir entre les deux institutions.
#4#Le jeu du pouvoir et du savoir.
Au premier abord, on pourrait s’en tenir à une distinction simpliste : L’éducateur propose, exécute, et le juge dispose. Mais cette affirmation ne résiste pas à l’examen. On comprend vite que tous deux sont inter-dépendants, et que des efforts de l’un dépend l’efficacité de l’autre.
Ainsi, le succès de l’action éducative est pour partie lié à la manière dont elle a été présentée par le juge, tandis que les prises de position judiciaires non relayées et expliquées au niveau éducatif restent le plus souvent sans conséquences pratiques.
A regarder les choses de plus près, on s’aperçoit que le niveau d’information des deux partenaires varie selon le moment auquel on se place.
Au début de la procédure, le juge, fort du signalement et de l’audience, est sans doute le mieux informé, ce qui lui permet de préférer une mesure d’investigation à une autre, et de choisir tel ou tel service pour la prendre en charge.
Cet avantage s’évanouit rapidement au profit de l’éducateur. C’est le rapport fait par celui-ci au bout de quelques semaines qui permettra au magistrat de valider ou d’abandonner ses premières hypothèses. Par la suite, l’audience fera apparaître des données nouvelles, par exemple sur la manière dont est perçue l’action éducative et ainsi de suite…
Il en est de même du pouvoir : Si les décisions sont du ressort du magistrat, l’éducateur les induit, les prépare. Seul présent sur le terrain, il est souvent amené à des prises de position dictées par la nécessité qui anticipent sur la décision à venir.
Habituellement, la dialectique du judiciaire et de l’éducatif s’enrichit ainsi du jeu de la proximité et de la distance, et des enseignements du temps.
Voici quelques années, le directeur du centre de formation et de recherche de l’éducation surveillée de Vaucresson, avait même cru pouvoir analyser les relations entre les deux institutions sur un plan théorique en distinguant dans les domaines de l’enfance délinquante et de l’assistance éducative quatre phases : Déclenchement de la procédure, mise en route de l’étude du cas, développement de l’intervention et jugement.
Il cherchait à déterminer dans chacune la prédominance de l’une ou l’autre institution, et comment devait s’organiser la résolution d’éventuelles contradictions.
Son ouvrage, publié en 1985, sous-estimait sans doute le poids du contexte politique, administratif et financier extérieur au système, qui est de nature à en fausser le libre jeu.
Il a eu néanmoins le mérite de souligner la nécessité de sauvegarder en permanence un équilibre entre l’éducatif qui humanise la procédure, et le judiciaire qui garantit en retour sa légitimité, l’effacement de l’un des deux pôles étant de nature à pervertir les finalités du système.
#5#Le cas du SEAT.
Je n’en donnerai qu’un exemple : Le débat sur le devenir du service éducatif auprès du tribunal a récemment mis en lumière la divergence entre une direction de la protection judiciaire de la jeunesse paradoxalement soucieuse avant tout de procurer aux magistrats une aide ponctuelle à la décision, et notre association, demandeuse d’une authentique action éducative installée dans la durée, et moins orientée sur la communication en temps réel d’informations aux magistrats que sur la transmission collective et cohérente des normes sociales aux familles et aux personnes qui s’en écartent.
D’aucuns ont pu voir dans cette affaire une bien curieuse interversion de rôles. Il faut reconnaître que depuis quelques années, l’équilibre dialectique est profondément perturbé par des difficultés croissantes qu’il nous faut maintenant exposer.
#6#Des difficultés croissantes.
Certaines peuvent sembler conjoncturelles, parce que liées à la surcharge actuelle dont souffre la justice des mineurs. L’application de la politique de tolérance zéro et la montée en flèche du nombre des affaires pénales conduit des magistrats surchargés à aller au plus simple et au plus rapide, négligeant du même coup la qualité des auditions, et la disponibilité à l’égard du partenaire éducatif.
Dans les grandes juridictions, la multiplication des présentations plus ou moins urgentes conduit à faire prendre un nombre croissant de décisions par le juge de permanence et non par le magistrat territorialement compétent, ce qui met les éducateurs au contact d’une succession d’interlocuteurs mal informés, de sensibilités diverses, et peu disposés à prendre des positions engageant la poursuite de l’action entreprise par leur collègue.
Côté éducatif, l’inflation de la demande judiciaire, supérieure aux capacités de prise en charge, provoque la constitution de listes d’attente qui retardent de plusieurs mois la mise en œuvre effective des décisions au détriment de leur crédibilité.
Mais il existe aussi des difficultés nouvelles qui tiennent à l’évolution lourde de l’institution judiciaire. Il en est ainsi de l’importance croissante prise par le Parquet des mineurs, suite à la loi du 1er juillet 1996 qui lui a conféré un rôle prépondérant dans le rythme d’évacuation des affaires.
Loin de moi le dessein de faire ici le procès de nos collègues du Parquet ; cependant, à la différence du juge des enfants, la position de ceux-ci dans la structure ne les porte pas à se soucier de ce qui se passe dans la durée. La plupart de leurs interventions sont ponctuelles et, quant il recourent à l’éducatif, c’est en général pour des avis ou interventions rapides préalables à la saisine du juge.
La dialectique ne peut qu’en être affectée, et les risques d’instrumentalisation de l’éducatif majorés.
Sans doute la curieuse position de la PJJ dans l’affaire du SEAT répond-t-elle à une trop grande sensibilité aux sirènes du Parquet…
Cette influence a été dans un premier temps sous-estimée, et ce n’est que depuis peu qu’elle commence à être analysée.
#7#Le milieu ouvert, proche du magistrat.
Il existe enfin des difficultés chroniques qui se manifestent il est vrai davantage à propos des placements que des mesures de suivi en milieu ouvert.-Souvent sectorisées, les équipes d’investigation et de suivi dans la famille sont en relations constantes avec les magistrats.
Mobiles, moins absorbés par les contraintes de la collectivité à laquelle ils appartiennent, les professionnels qui y travaillent ont tôt fait de franchir la distance qui les sépare du Palais et d’obtenir leurs entrées chez les magistrats pour leur faire partager, nolens volens, leurs succès et leurs échecs ; le nombre relativement important de cas suivis par chacun d’eux rend parfaitement fonctionnels des contacts réguliers.
#8#Les foyers, loins du juge.
Toute autre est la situation des structures d’hébergement qui ne peuvent aussi facilement se rapprocher de leurs interlocuteurs.
Les juges ne sous-estiment pas la gravité d’une séparation dont ils ont souvent mesuré les risques ; mais il n’ont qu’une connaissance approximative des méthodes et des supports qui vont être mis en œuvre, des difficultés qui accompagnent l’acclimatation du mineur à son nouveau milieu, de l’ampleur de ses premières réactions, et des perturbations provoquées dans la vie de l’établissement par une nouvelle prise en charge.
Il est fréquent de les voir s’offusquer d’appels à l’aide, jugés par eux prématurés et révélateurs d’une incompétence professionnelle des éducateurs.
En fait, ce qu’ils attendent d’abord du placement c’est une mise à distance des problèmes, dont ils pensent qu’ils se manifesteront à eux de manière moins lancinante, dès lors qu’ils sont gérés à plein temps par une équipe responsable.
Cependant, il ne faut pas s’étonner de la déception de professionnels qui se sentent lâchés au moment le plus crucial, et ne tardent pas à réagir par une demande de mainlevée, ou, s’ils parviennent à surmonter l’obstacle, par un sentiment de solitude et de toute puissance. A quoi tient ce relâchement de l’intérêt du magistrat ? On peut évidemment évoquer le poids du “happening” quotidien ; une affaire chasse l’autre, et il est tentant de chercher à résoudre les difficultés au fur et à mesure où elles se présentent, pour diminuer la pression sociale qui les accompagne, sans se soucier des avatars ultérieurs.
Mais l’indifférence aux suites immédiates de la décision est une faute qui se paie par la suite au prix fort.
#9#La perte des repères due à l’éloignement entre juge et éducateur.
Les équipes d’hébergement, surtout dans la région parisienne, ont rarement en charge plus d’un ou deux mineurs en provenance d’un même cabinet ; elles ont donc presque autant de partenaires judiciaires que de jeunes hébergés ce qui ne facilite pas les rapports.
Ce saupoudrage a pour effet de maintenir la collaboration au dessous d’un certain seuil de rentabilité qui permettrait de faire le tour d’horizon de plusieurs affaires en un minimum de temps, et de justifier de la part du magistrat les visites périodiques de contrôle préconisées par les textes.
Il incline ce dernier à manier les placements de façon distante et autoritaire, et les éducateurs à fausser la confrontation normale de l’offre et de la demande en s’abritant derrière des rituels d’admission complexes destinés à s’assurer, à défaut de l’appui judiciaire, du volontariat du mineur concerné.
L’étude des candidatures s’étire dans le temps. De visites préalables en séjours à l’essai elle dégénère en un véritable parcours du combattant que le juge n’est pas en mesure de suivre lui-même.
Il lui arrive alors, dans l’espoir de faciliter les tractations, de déléguer aux équipes de milieu ouvert le soin de rechercher les placements. Certains foyers poussent d’ailleurs en ce sens, croyant être ainsi plus exactement informés. Mais ce passage par des intermédiaires ponctuels entraîne une déresponsabilisation, là où devraient au contraire prédominer la confiance et l’engagement réciproques.
De glissement en glissement, le processus dégénère en de fragiles contrats passés entre hébergeants et hébergés, avalisés par le juge de plus ou moins bonne grâce et dont la dimension d’autorité est complètement évacuée.
On s’éloigne ainsi, sans y prendre garde, de la cohérence dans la tenue des rôles, seule à même de garantir un minimum d’efficacité. Les différentes phases de l’intervention étant en constante interaction, toute modification sur l’une d’entre elles provoque des effets sur l’ensemble : Le processus tout entier peut ainsi devenir désordonné et redoubler le chaos originaire au lieu de le traiter.
Pour avoir quelque chance de susciter une modification du contexte, car le changement personnel relèvera toujours de la prise de conscience individuelle, il est indispensable de créer un effet organisateur, un effet d’ordre, un effet créatif de nature à réduire le chaos. Toute la question est de savoir à partir de quelles considérations.
#10#Que faire pour retrouver une cohérence ?
On pourrait penser que les idées directrices sont constamment débattues sur le terrain entre les magistrats et les éducateurs pour être ensuite transmises à l’administration qui apprécie leur pertinence et l’opportunité de les mettre en œuvre à partir des moyens relativement modestes dont elle dispose. Il n’en est rien.
L’insuffisance du dialogue et l’absence de toute structure de concertation régulière permettant d’en capitaliser les fruits conduisent à une cacophonie qui laisse la direction nationale affrontée à la seule demande audible, mais non élaborée qui est celle du pouvoir politique : “Chargez vous des trublions, le plus vite possible et pour un certain temps”.
Aussi ne faut-il pas être étonné outre mesure que les paramètres retenus soient un mélange de préoccupations politiques et gestionnaires, et non pas judiciaires et éducatives comme en témoigne la terminologie actuelle : Centres de placement immédiat, centres d’éducation renforcée, et peut-être demain centres fermés.
Il n’est pas difficile d’imaginer que les mineurs ont besoin de pouvoir être admis à tout moment de l’année ; qu’ils doivent être assurés qu’une dérobade à l’admission ou une fugue n’entraîneront pas mécaniquement leur radiation des effectifs de l’établissement.
De même on ne saurait imposer à l’avance de limites quant à la durée de leur séjour, car si certains se heurtent rapidement à la discipline, de nombreux autres éprouvent le plus grand besoin de poser leur sac et de souffler un peu sans être immédiatement embarqués dans un projet de réussite exigeant.
Et pourtant la majorité des structures doivent fonctionner au maximum de leur capacité installée et répondre à des besoins prédéfinis sur le plan national quant à la durée de séjour. Le financement des places selon la technique du prix de journée rend suspect le maintien de places vacantes pourtant nécessaire à un minimum de souplesse. Les structures qui fonctionnent à partir du système du budget global retrouvent a posteriori des difficultés identiques.
On ne peut indéfiniment demander aux mineurs d’entrer dans le moule des institutions, alors que celles-ci sont là pour répondre à leurs besoins.
#11#Pour un dialogue retrouvé.
Le dialogue qui s’engage entre une équipe éducative et le juge qui lui a fait confiance, constitue à cet égard la meilleure garantie d’adéquation, pour peu que la dimension de professionnalisme et de responsabilité des éducateurs soit sauvegardée. Encore faut-il le faire prévaloir par rapport à la froide détermination des technocrates.
L’analyse de la protection judiciaire de la jeunesse qui attribue les difficultés actuelles à un cloisonnement entre équipes éducatives, un isolement des professionnels et un fractionnement des prises en charge n’est pas foncièrement erronée, mais elle prend l’effet pour la cause. On passera à côté de l’objectif si on continue à négliger le principe fédérateur des efforts de tous, qui est la transmission cohérente aux jeunes accueillis du message de solidarité qu’ils attendent.
Cela suppose des facultés d’anticipation, l’acceptation du risque partagé, et le souci permanent de sauvegarder un équilibre inter-institutionnel perpétuellement menacé par l’hypertrophie des préoccupations sécuritaires, la culture de l’urgence, et la déperdition du sens.
Naturellement, l’administration n’est pas
seule en cause. C’est bien l’incapacité des interlocuteurs de terrain à élaborer des positions cohérentes qui l’amène à limiter ses ambitions à la seule satisfaction de la demande sociale brute.
Un récent rapport d’inspection souligne le manque de continuité et de fiabilité dans la demande judiciaire, ainsi que l’activisme brouillon de nombreux travailleurs sociaux.
Ce qui veut dire en termes plus abrupts que les juges ondoient et que les éducateurs merdoient. Il y aurait sans doute lieu de se demander si l’effacement depuis quelques années de ce creuset de réflexion que fut le centre de formation et de recherche de l’éducation surveillée de Vaucresson n’y est pas pour quelque chose.
En tous cas, la formation des magistrats et celle des éducateurs méritent d’être repensées à l’aune de la collaboration.
A mon sens, il serait nécessaire d’imposer dès la première année de fonction des séquences de formation communes entre magistrats et éducateurs, pour leur permettre de s’ouvrir ensemble à la complexité et aux exigences de la collaboration.
Peut-être aussi d’exiger des éducateurs une expérience de milieu ouvert avant de travailler en internat, en revalorisant bien entendu leur rémunération à ce stade.
Ainsi pourrait-on voir à nouveau la dialectique du judiciaire et de l’éducatif irriguer les rapports entre les deux institutions dans le respect de leurs places respectives.
Alain BRUEL, ancien président du tribunal pour enfants de Paris