La justice des mineurs, en France, fût longtemps un objet de fierté. Elle a servi de référence à de nombreux pays et les principes d’action de l’ordonnance du 2 février 1945 continuent d’inspirer des réformes législatives à l’étranger. Paradoxalement, aujourd’hui, en France, ce qui a fait la force et l’originalité de notre modèle de justice des mineurs est délégitimé et déconstruit. Sous la double pression d’une inflation législative sécuritaire et de restrictions budgétaires notre justice des mineurs tend à devenir une justice de stigmatisation et d’exclusion. Pourtant, le projet que l’on conçoit pour l’enfance en difficulté permet toujours de mesurer l’ambition que porte une société à sa jeunesse.
Pour renouer avec un traitement de la délinquance des mineurs efficace sur le long terme, il est temps de restaurer les leviers éprouvés, de revenir sur les errements et de favoriser la diffusion des bonnes pratiques.
A la veille d’une échéance démocratique importante, l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille soumet aux candidats à l’élection présidentielle ses constats et ses propositions.
Pour mettre fin à l’inflation législative, respecter nos engagements internationaux et tenir compte des recommandations du conseil de l’Europe
Il convient de rappeler que depuis 2002 nous avons connu 20 modifications de textes tendant à élargir de façon systématique l’éventail des infractions, aggraver la répression, durcir les contrôles, accélérer la saisine, orienter la pratique des juges, modifications qui viennent réduire le champ de l’individualisation, peser sur l’utilisation des équipements.
Ces orientations visent à la destruction méthodique d’une justice spécialisée et à considérer les mineurs comme des majeurs. Elles sont en contradiction totale avec nos engagements internationaux, ainsi qu’avec les recommandations du conseil de l’Europe. De plus force est de constater que ces réformes interviennent dans des périodes électorales et/ou à l’occasion de faits divers particulièrement dramatiques.
Pour une réelle implication de la collectivité dans la prévention et le traitement de la délinquance juvénile.
Actuellement on ne peut que constater une grande confusion dans la définition de la prévention de la délinquance et dans les compétences des différents acteurs : le président du conseil général, le maire mais également le recteur d’académie voire le procureur. En effet la troisième voie du parquet et le développement très créatif des mesures de réparation viennent solliciter de plus en plus la société civile. Il conviendrait de clarifier le concept de prévention de la délinquance et de redéfinir et de renforcer le rôle et la cohérence de la société civile.
Par ailleurs force est de constater que l’application de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et qui définissait les principes et les moyens nécessaires à la politique de l’enfance, s’avère insatisfaisante et insuffisante. Les moyens et l’ambition ne sont pas au rendez-vous. L’Etat ne donne pas l’impulsion nécessaire. Bien plus, il se désengage.
Pour un traitement global de l’enfant en justice par une juridiction spécialisée.
La justice doit concilier à l’égard de l’adolescent auteur d’une infraction pénale une réponse à l’acte commis et la mise en œuvre des moyens utiles à son éducation et à son insertion. Seule une action concrète permettant d’agir sur les causes éducatives, familiales, sociales, environnementales ou psychologiques du passage à l’acte de l’adolescent peut favoriser sa stabilisation réelle dans son intérêt et dans celui de la société. La spécialisation de la législation et des professionnels en charge de l’appliquer permet d’adapter la réponse aux spécificités de la délinquance juvénile. La spécialisation du juge des enfants tient à son approche globale de la question de l’enfance en difficulté et à la continuité de son intervention. A l’instar de la continuité du suivi éducatif, elle constitue un gage de cohérence et d’implication. La perspective longue engagée par la justice des mineurs permet aussi de lutter utilement contre le risque de récidive.
Aujourd’hui, l’intervention judiciaire à l’égard d’un même enfant en danger ou délinquant est morcelée. Les mesures civiles en milieu ouvert ou les décisions au titre de la protection des jeunes majeurs ordonnées par les juges des enfants pour conforter l’amélioration du parcours d’une jeune personne en difficulté ne sont plus exécutées par la Protection Judiciaire de la Jeunesse, soumise, pour leur financement au couperet intransigeant de la RGPP. Des mesures judiciaires sont mises en attente faute de moyens et dans l’indifférence.
Rappelons l’article 19 de la recommandation du 5 novembre 2008 (2008– 11) du comité des ministres du conseil de l’Europe pour les mineurs délinquants faisant l’objet de sanctions ou de mesures. Cet article stipule ceci : « les ressources allouées et les effectifs de Personnel doivent être suffisant afin que les interventions dans la vie des mineurs aient un sens. Le manque de ressources ne saurait en aucun cas justifier des atteintes aux droits des mineurs ».
Suite aux trop nombreuses réformes du droit pénal applicable aux mineurs, la procédure a perdu son homogénéité et sa lisibilité alors qu’elle devrait être pédagogique, accessible et cohérente.
Pour y remédier, il est nécessaire de supprimer au plus vite les dispositions qui tendent à aligner le droit des mineurs sur celui des majeurs. Le tribunal correctionnel pour mineurs, échelon inutile et non spécialisé qui complexifie et appauvrit l’étape du jugement, doit être abrogé. Dans le même sens, la voie de la composition pénale, doit être écartée pour les mineurs. Le principe de l’atténuation de la peine liée à l’âge doit aussi redevenir un principe fondamental de la justice des mineurs.
Il est aussi nécessaire de réaffirmer le bloc de compétence du juge des enfants à l’égard de l’enfance délinquante et de l’enfance en danger et de rappeler que la finalité de cette justice est d’infléchir durablement un parcours de vie. Il faut permettre aux services éducatifs chargés d’appliquer les décisions des juges des enfants d’intervenir dans la complémentarité des missions assignées à la justice à l’égard de l’enfant en danger et de l’enfant délinquant.
Pour un traitement individualisé de l’enfant en justice
Le traitement judiciaire de la délinquance se caractérise par l’individualisation d’une réponse apportée au cas par cas. Cette exigence est renforcée à l’égard des mineurs du fait des spécificités liées à une personnalité immature en cours de développement. Les juges des enfants doivent pouvoir adapter la procédure à chaque trajectoire individuelle sans être liés par la qualification de l’acte commis. La voie choisie par le magistrat doit tenir compte tant de la gravité de l’acte que de la capacité du mineur à en prendre conscience et à modifier son comportement. Les juges des enfants doivent aussi pouvoir s’appuyer sur un large éventail de mesures éducatives, effectives rapidement.
Aujourd’hui, au fil des réformes, la loi est devenue trop rigide. De ce fait, le juge des enfants ne dispose plus de la possibilité d’adapter avec souplesse la réponse judiciaire en fonction des besoins et des perspectives d’un mineur particulier. Le traitement législatif est décalé de la réalité et de ce qui est socialement utile.
La marge de manœuvre du juge des enfants est également limitée par la réduction des équipements. La baisse du budget de la PJJ et la réduction de ses effectifs (-6% depuis 2008) aboutit à la fermeture autoritaire de services d’insertion, de services d’hébergement diversifiés et individualisés, de services d’hébergement éducatifs classiques, au désinvestissement du milieu ouvert. La restriction du financement du secteur habilité justice réduit le recours aux mesures d’investigation, mesures clés, tant en matière civile que pénale, pour comprendre et traiter une situation particulière.
Par ailleurs la réforme de l’État, en supprimant des postes au niveau des directions départementales de la protection judiciaire de la jeunesse, a eu comme conséquence une déconnexion entre l’encadrement et les besoins des Enfants. Il est pourtant nécessaire d’adapter les moyens aux besoins réels d’un territoire aux fins d’éviter les ruptures de suivis trop précoces dont les incidences sont coûteuses pour l’avenir de l’individu concerné comme pour la société.
Le droit pénal applicable aux mineurs doit être adapté à la réalité de la délinquance juvénile, répondre à l’évolution de la demande sociale et préserver le droit des victimes.
Pour reconstruire une justice des mineurs adaptée à sa cible, des réformes urgentes s’imposent.
Nous proposons
- La suppression du tribunal correctionnel pour mineurs
- L’abrogation des peines-planchers, sanctions automatiques, à contre-courant du principe de l’individualisation de la peine.
- Dans le même sens la disposition contraignant à l’inscription systématique des mineurs condamnés du chef d’infractions sexuelle au FIJAIS doit être remise en cause. La stigmatisation de personnalités immatures est inutile et peut bloquer toute évolution, voire favoriser leur récidive. Les règles du casier judiciaire doivent à nouveau être adaptées à une justice spécialisée en permettant à un jeune majeur de retrouver un casier vierge quand les condamnations n’ont pas été révoquées.
- L’adoption d’une nouvelle procédure souple, réactive, soumise à des délais raisonnables. La réponse rapide de l’institution judiciaire pour la victime doit se concilier avec un jugement différé pour le mineur à l’issue d’un délai d’épreuve permettant d’apprécier l’évolution d’un parcours. De ce fait, le recours à des procédures rapides (type présentations immédiates) qui limitent la portée éducative du traitement judiciaire serait marginalisé car rendu inutile grâce à une procédure rythmée par des délais utiles et respectés.
- Le traitement judiciaire doit aussi disposer d’équipements diversifiés et équilibrés en capacité d’intervenir sans délai après la décision de justice. Il doit pouvoir s’appuyer sur des services de milieu ouvert renforcés, des établissements éducatifs d’hébergement classiques et innovants. Dans ce panel, les centres éducatifs fermés constituent une réponse parmi d’autres. Ils doivent permettre de limiter l’emprisonnement des mineurs, dont les effets nocifs sont unanimement admis. C’est pourquoi, la détention provisoire des adolescents de moins de 16 ans en matière délictuelle doit être prohibée, les CEF pouvant se substituer à l’incarcération quand elle est envisagée.
- La réaffirmation de la responsabilité de l’État tant politique que financière concernant la prise en charge des mineurs étrangers isolés, leur protection. L’Etat doit s’engager fermement dans la lutte contre les organisations criminelles exploitant les mineurs.