Accéder à la loi et au suivi des travaux de son adoption (travaux des commissions et amendements)
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Audition de l’AFMJF au Sénat sur le projet de loi sur la prévention de la délinquance (13/12/2006)
Paradoxalement le projet de loi sur la prévention de la délinquance a bénéficié d’une forte
médiatisation alors qu’il n’a fait l’objet d’aucune concertation en amont des travaux
parlementaires. Ce n’est en effet que devant les commissions des lois, de l’Assemblée Nationale
puis du Sénat, que l’AFMJF, unique association représentative des magistrats de la jeunesse, aura
été entendue.
De plus, depuis 2002, pas moins de quatre réformes législatives ont été adoptées dans le
champ du droit des mineurs sans évaluation de leur pertinence, de leur cohérence, ni des moyens
nécessaires à leur application.
Cette absence de prise en compte du point de vue des professionnels cause un profond
décalage entre la réalité des enjeux et les réponses proposées. Elle provoque un malaise réel des magistrats de la jeunesse et des services éducatifs.
La philosophie générale du projet de loi sur la prévention de la délinquance constitue une
rupture avec les principes fondateurs de la justice des mineurs et du travail social : à la solidarité
on substitue le contrôle, à la valorisation des compétences individuelles, la stigmatisation des
difficultés sociales, matérielles ou éducatives. L’ensemble laissant penser que la prévention ne
peut s’appuyer que sur un unique levier : la menace de la sanction.
Faute de définition de ce qu’est la prévention de la délinquance les finalités sont diverses
et aboutissent à un résultat confus.
Ce texte étant en contradiction avec les valeurs humanistes et les réponses pragmatiques
que nous préconisons, nous ne proposerons pas d’amendement mais nous formulerons des
observations sur deux aspects de la réforme qui touchent directement à nos missions : Le droit
pénal des mineurs et les nouvelles attributions de maire.
Droit pénal des mineurs : de nouvelles atteintes à une justice spécialisée et à la cohérence
des réponses par un alignement sur le droit pénal des majeurs.
La composition pénale jusqu’ici réservée aux majeurs est étendue aux mineurs de plus de
13ans, en contradiction avec l’article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant aux termes duquel un mineur ne peut pas s’auto-accuser.
Le principe même de cette mesure constitue une remise en cause de la place du jeune dans la
société et de la relation de l’adulte au mineur. Ce dernier est mis en situation de négocier sa
culpabilité et sa sanction. La mission pédagogique et éducative des adultes à son égard en vue
d’une prise de conscience des limites de la loi et de sa propre responsabilité est délaissée.
Si des mesures spécifiques applicables aux mineurs sont énumérées, il n’est pas exclu de leur
appliquer celles initialement prévues pour les majeurs (amendes ou même TIG, pourtant illégal
avant 16 ans !).
La procédure porte atteinte au rôle pivot du juge des enfants tourné vers la construction d’un
projet à partir d’un acte délictuel et adapté à une personnalité en construction. A contrario, dans le
cadre de la composition pénale le juge intervient sur dossier et a posteriori.
On peut déplorer de voir des mesures éducatives, telles que respect d’un placement ou d’une
activité de jour, considérées simplement comme sanctions d’un acte sans recherche d’un
processus d’évolution personnelle et prononcées pour une durée qui peut aller jusqu’à un an par
un magistrat du parquet qui n’est pas tenu d’évaluer la pertinence des mesures qu’il envisage. Par
ailleurs, prévoir au titre de la composition pénale, prononcée à l’occasion de la commission d’une
infraction, le respect d’un placement antérieurement ordonné introduit une confusion avec ce qu’a
prévu le juge des enfants dans un autre cadre. Entremêler les interventions du juge des enfants et
du procureur est source de confusion, dans un domaine où la clarté des missions de chacun est
essentielle.
D’autres mesures prévues dans ce cadre, comme le stage de formation civique, sont déjà
appliquées, sous le contrôle du procureur de la république dans le cadre de la "troisième voie" La
procédure devient simplement plus complexe et aggrave la situation du jeune par l’inscription au
casier judiciaire.
Enfin, on généralise une procédure visant à traiter plus rapidement un contentieux de masse, à un
domaine qui requiert une prise en charge spécialisée et spécifique.
Le projet de loi sur la prévention de la délinquance repose une fois de plus sur l’hypothèse,
non vérifiée, que pour être efficace la justice des mineurs doit être plus rapide et plus répressive.
C’est dans ce but, qu’alors que la procédure de jugement à délais rapprochés issue de la loi du 9
septembre 2002 n’a pas fait ses preuves, on lui substitue déjà la procédure de présentation
immédiate. Elle en élargit le champ d’application et introduit une véritable comparution
immédiate à l’égard des mineurs par la possibilité de renoncer au délai de 10 jours. Cette
nouvelle disposition est en contradiction avec une décision du Conseil Constitutionnel rendue en
2002. Elle confond, à nouveau, la nécessité d’un suivi judiciaire rapide avec un jugement
précipité. En effet, il est souhaitable de prendre rapidement des mesures provisoires pour pouvoir
en mesurer les effets au moment du jugement. A contrario, cette nouvelle disposition aboutira au
résultat de favoriser le recours à l’emprisonnement et de raccourcir le suivi éducatif utile d’un
jeune, en aggravant le risque de récidive.
Les juges des enfants et les substituts des mineurs sont bien conscients de la nécessité de juger
dans un délai raisonnable et d’adapter le moment de l’audience au parcours du mineur. Pour y
parvenir, il faut conserver une procédure souple favorisant la concertation siége/ parquet et
disposer de moyens suffisants.
Aujourd’hui, dans de nombreux tribunaux pour enfants le sous-effectif chronique de greffiers
interdit tout ajustement de l’audiencement et l’encombrement des services éducatifs retarde les
prises en charge et donc la date du jugement.
L’élargissement des possibilités de recours au contrôle judiciaire pour les mineurs de
moins de 16ans vise à faciliter la détention provisoire des plus jeunes sans se préoccuper des
effets criminogènes de ces orientations.
En facilitant la possibilité d’écarter le principe d’atténuation de la peine pour les
mineurs de plus de 16 ans une nouvelle étape est franchie dans le rapprochement du droit pénal
des mineurs vers celui des majeurs, en contradiction avec les engagements internationaux de la
France. Appliquer le même régime à un mineur qu’à un majeur ne serait plus « exceptionnel » en
niant les conséquences de l’immaturité d’un adolescent. Cette disposition relève plus d’une
entreprise de communication et d’affichage, eu égard au quantum des peines prononcées par les
tribunaux. Le projet de texte dispose, qu’en cas de récidive d’atteinte volontaire à la personne, le
magistrat ne devra plus motiver une décision pourtant plus attentatoire à la liberté individuelle,
ceci en contradiction avec les principes fondamentaux attachés à la fonction du juge. Par cette
disposition qui crée un régime de peine particulier pour un certain type d’infractions, l’acte passe
au premier plan et la prise en compte de la personnalité du mineur délinquant, raison d’être de
l’ordonnance de 45, apparaît inutile voire déconseillée.
Les sanctions éducatives ont été introduites dans l’ordonnance du 2 février 1945 par la
loi du 9 septembre 2002. Elles sont à ce jour rarement prononcées, d’une part en raison de leur
nature juridique hybride et d’autre part car, conçues prioritairement pour des enfants de moins de
13 ans, qui de fait ne sont pas cités devant le tribunal pour enfant, elles n’ont pas rencontré leur
public.
Si certaines des mesures proposées, comme la confiscation de l’objet ayant servi à la commission
de l’infraction, pourraient parfois être opportunes, la rigidité de la procédure en limite l’usage.
Mais surtout, les sanctions éducatives reflètent une méconnaissance de la dynamique et des
objectifs du travail éducatif, tendance aggravée par le présent projet de loi : une mesure de
placement dans un établissement éducatif, l’accueil dans un centre de jour où la réalisation de
travaux scolaires peuvent être des moyens de faire évoluer un jeune s’ils sont accompagnés d’une
démarche éducative pour que celui auquel elle s’adresse s’en approprie les effets. Si la mesure est
exclusivement présentée comme une punition imposée elle signe son échec. Enfin, ajouter
l’avertissement solennel au titre des sanctions éducatives ne constitue qu’une disposition
d’affichage : il n’est pas différent de l’admonestation ni de la remise à parents, dont l’article 36
du projet de loi, adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, a en outre limité le
prononcé.
L’interdiction de prononcer une admonestation ou une remise à parents en cas de
récidive exprime à nouveau une défiance à l’égard du sens des responsabilités et de l’éthique des
magistrat, juges des enfants et magistrats du parquet qui peuvent faire appel des décisions. De
plus, c’est méconnaître la réalité de la délinquance des mineurs que d’écarter les situations,
pourtant fréquentes, d’un jeune impliqué dans une multiplicité d’actes pendant une période
donnée, qui modifiera totalement son comportement et se trouvera réinséré une fois la période
troublée dépassée.
L’article 43 du projet crée en matière délictuelle une sanction-réparation, qui est une
indemnisation du préjudice de la victime pénalement sanctionnée, et sanction-restauration en
matière de contravention, qui consiste en une remise en état de biens dégradés. Ces mesures
créées pou les majeurs ont été empruntées à la mesure de réparation créée par une loi de 1993
pour les mineurs, mais n’en constituent qu’une application très partielle qui ne tient bien sûr pas
compte de la spécificité de l’accompagnement éducatif des mineurs ni du sens de la mesure de
réparation : une mesure qui répare à la fois le trouble à l’ordre public et le dommage causé à la
victime mais surtout qui permette une réflexion du mineur sur sa responsabilité et sur le respect
d’autrui. Il est donc nécessaire d’écarter l’application de ces mesures pour les mineurs, d’une part
parce qu’elles feraient dans certains cas double emploi, d’autre part parce qu’elles introduiraient
de la confusion avec les mesures existantes, accompagnées par un éducateur.
Les nouvelles attributions du maire
Une nouvelle figure du maire, qui brouille son rôle traditionnel
Le maire incarne une autorité de proximité, il remplit aussi un rôle de médiateur et de
pacificateur des tensions locales, comme on l’a bien vu lors des événements de novembre 2005. Il
assure également une coordination entre les institutions. Cet ensemble de missions gagnerait à
être renforcé.
Malgré les aménagements issus des débats des députés, le projet de loi lui octroie un rôle qu’il
n’a pas les moyens d’occuper et qui le place en concurrence avec d’autres acteurs (représentants
de l’Etat, procureur de la République, président du conseil général)
Personne n’a jamais songé dénier au maire la possibilité de rappeler à l’ordre certains de ses
administrés ; il dispose d’ailleurs de pouvoirs de police administrative. Mentionner spécifiquement
cette possibilité en ce qui concerne les mineurs est une disposition purement déclarative.
Les nouvelles attributions du maire introduisent de la confusion dans les dispositifs
de protection de l’enfance.
Les difficultés familiales, matérielles, éducatives, psychologiques sont considérées dans ce projet
de loi comme des signaux avant-coureurs de délinquance sans tenir compte de la multiplicité des
conséquences de la souffrance sociale.
De plus, il risque d’affaiblir la coordination et de diluer les responsabilités dans le domaine de la
protection de l’enfance :
Le projet de loi sur la protection de l’enfance, également en cours d’examen parlementaire, suite
de nombreuses consultations et en référence à des travaux de recherche récents, vise à renforcer le
rôle de chef de file du président du conseil général pour améliorer la prévention, le repérage et la
qualité des réponses dans le domaine de la protection de l’enfance. Dans ce but il prévoit de
généraliser les cellules départementales de signalement, de mieux définir les compétences
respectives des protections administrative et judiciaire, d’organiser l’échange de l’information
dans le cadre des règles sur le secret professionnel.
Le projet de réforme de la prévention de la délinquance fragilise ce dispositif :
– En prévoyant le co-signalement au maire et au président du conseil général.
– L’instauration d’un coordonnateur vient empiéter sur la mission du Président du conseil général.
– C’est dans le cadre de la protection de l’enfance que le secret partagé doit être encadré dans le
but d’améliorer le suivi et le repérage.
Contrôle social et prédominance de la sanction sans cohérence avec les mesures
sociales et éducatives existantes.
Le conseil pour les droits et devoirs des familles, nouvelle instance qui introduit une graduation
entre l’accompagnement parental, le contrat de responsabilité parentale et l’assistance éducative,
en omettant les autres mesures du code de l’action sociale et des familles.
Au lieu d’une analyse globale chacune de ces étapes est annoncée comme la sanction de l’échec
de la précédente. Le conseil pour les droits et devoirs des familles empiète sur les missions de la
cellule départementale de signalement dont le but est d’analyser des données et de proposer des
orientations adaptées. Par ailleurs, il est prévu que ce conseil devra être informé de l’existence de
mesures éducatives judiciaires concernant les habitants de la commune (article 6, chapitre 1,
nouvel article L141-11 du code de l’action sociale et des familles). S’il est normal que des
travailleurs sociaux intervenant dans un cadre judiciaire coordonnent leur intervention avec
d’autres intervenants sociaux, il est contraire au respect de l’intimité de la vie privée des familles
de prévoir une information de principe de cette instance. C’est une question de respect des
libertés individuelles, mais aussi d’efficacité de l’intervention sociale, le sentiment pour une
famille d’être « cernée » provoquant généralement des réflexes de repli préjudiciables à l’exercice
des mesures et à l’intérêt des enfants.
La tutelle aux prestations sociales est à nouveau présentée comme une sanction d’une
défaillance parentale. Encore faudrait-il établir un lien entre une mauvaise gestion des allocations
et le comportement des mineurs. La possibilité de désigner le coordonnateur comme délégué à la
tutelle est une remise en cause du professionnalisme que requiert la mesure de tutelle.
Le fichier d’assiduité scolaire auprès du maire, facultatif, renseigné par les informations
des chefs d’établissement. Les objectifs de cet outil ne sont pas définis et il s’agit encore d’une
atteinte à la vie privée non justifiée par des objectifs clairs et utiles.Il prend le risque d’une
dispersion des informations au détriment de l’effectivité d’une réponse au problème
d’absentéisme, d’une confusion avec les autres dispositifs (cellule de signalement départementale,
commissions départementales pour l’assiduité scolaire en place depuis 2004, veilles éducatives)
Sans se soucier de la pertinence des dispositifs en place, on attend du maire des résultats en
matière de fréquentation scolaire avec pour seul outil l’exhortation des parents.
La possibilité d’introduire des travailleurs sociaux dans les commissariats relève
d’une confusion des missions de chaque institution. Mieux coordonner et faciliter l’accès aux
différentes instances, en respectant l’identité professionnelle de chacun, serait préférable.
Sur l’aggravation de la réponse pénale à certains comportements répréhensibles :
- l’occupation d’un hall d’immeuble, qui n’était pénalement répréhensible que
lorsqu’elle constituait une entrave délibérée à la circulation, devient une infraction
autonome : la gêne provient de la présence de personnes et non plus de l’entrave à la
circulation. Il s’agit d’une infraction purement matérielle, sans élément intentionnel, qui
trouvera une application spécifique dans certains quartiers, en particulier dans les halls
d’immeuble des banlieues où le chômage et la déscolarisation sont bien plus présents
qu’ailleurs. Un regard si négatif porté sur la jeunesse en difficulté ne peut être vécu que
comme une discrimination. L’aggravation des peines encourues envoie par ailleurs le
message d’une répression de ces comportements qui serait insuffisante alors que rien
n’établit que cette infraction, créée par la loi sur la sécurité intérieure de 2003 et au
demeurant peu appliquée, a permis d’améliorer les relations de voisinage dans les lieux où
elle a été appliquée.
- Le projet de loi manifeste le souci de mieux protéger les représentants des forces de
l’ordre : l’article 26 bis A du projet fait des représentants des forces de l’ordre et de
sécurité et les agents des transports une nouvelle catégorie de personnes vulnérables. Quel
est le sens de telles dispositions alors que l’exercice d’une mission de service public
constitue déjà une circonstance aggravante de violences ? Par ailleurs, la répression de la
rébellion est considérablement aggravée. La protection des forces de l’ordre nous semble
devoir passer davantage par une amélioration des relations police-jeunes, qui nécessite un
travail de longue haleine et une implication forte sur les lieux où ces relations sont les plus
difficiles, plutôt qu’une aggravation de la réponse pénale prévue par la loi, qui ne fera
qu’exacerber les risques d’affrontement.
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Communiqué de l’AFMJF sur le projet de loi sur la prévention de la délinquance (12 juin 2006)
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Depuis plusieurs années, une avalanche de réformes répressives s’abat sur le droit pénal des mineurs. Ces dernières véhiculent un prétendu réalisme, nourri d’arrières pensées populistes et focalisées sur l’acte délictueux. Elles réduisent la problématique de l’adolescent délinquant à la seule comparaison des avantages escomptés et des peines encourues.
Le projet de loi sur la prévention de la délinquance propose un nouveau projet de société, en confiant à l’Education Nationale, aux services sociaux, aux transporteurs publics et à la médecine (protection maternelle et infantile et psychiatrie) une mission spécifique de prévention de la délinquance.
Le maire, pivot du dispositif, coordonnerait l’ensemble des interventions sociales et recevrait des informations relevant de l’intimité de la vie privée sur toutes les familles aidées de sa commune.
Il lui serait demandé de policer le comportement des enfants et des familles par l’intervention d’un Conseil pour les droits et devoirs des familles et par un pouvoir de proposer des mesures de tutelle, des contrats de responsabilité parentale, des stages parentaux, le tout sous la menace d’informer les autorités judiciaires.
S’agissant de la délinquance des mineurs, des procédures réservées jusqu’à maintenant aux majeurs seraient désormais étendues aux mineurs : la composition pénale en dépit de leur incapacité juridique à contracter et la comparution immédiate malgré l’inutile violence exercée sur des personnalités encore immatures. Les possibilités de placer des adolescents de 13 à 16 ans en détention provisoire seraient élargies, de nouvelles sanctions éducatives créées et la liberté des juges des enfants de prendre une décision adaptée à la situation de chaque jeune limitée.
Une fois de plus, pour justifier une réforme, le gouvernement invoque la prétendue impunité des mineurs et l’aggravation de leurs comportements. Le taux de réponse pénale à leurs actes étant supérieur à celui réservé aux adultes, cette affirmation est tout à la fois fausse et dangereuse.
L’AFMJF s’inquiète de cette politique d’affichage sans efficacité sur le terrain, de pénalisation à outrance des réponses sociales et d’abandon progressif d’une justice des mineurs spécialisée.
I/ Une exploitation récurrente de la thématique de la délinquance des mineurs, sans souci de la pérennité des orientions, ni de leur cohérence.
Le droit pénal des mineurs a déjà été réformé à plusieurs reprises :
Après les réformes de 2002 (Perben I), de 2004 (Perben II), et de 2005 (Loi de décembre 2005 sur la récidive), la loi pour l’égalité des chances de mars 2006 a inventé “le contrat de responsabilité parentale” et confié aux maires une responsabilité dans le traitement des incivilités.
Alors même que les décrets d’application ne sont pas encore intervenus, le ministre de l’intérieur présente un nouveau projet de loi relatif à la prévention de la délinquance qui modifie, et parfois contredit, les dispositifs précédents qui n’ont fait l’objet à ce jour d’aucune évaluation.
Cette succession de lois ponctuelles recherchant essentiellement des effets d’annonce aboutit à rendre illisible l’ordonnance de 1945, à bousculer ses principes et à faire croire que des mesures existantes (réparation et placement), rebaptisées ou ordonnées dans un autre cadre, seraient des nouveautés.
L’accélération législative interdit toute évaluation de la pertinence de chaque réforme.On ne s’inspire d’aucune analyse approfondie des évolutions particulières à la délinquance des mineurs, pas plus qu’on ne cherche à connaître les effets des orientations déjà prises et la suffisance ou non des moyens déployés sur le terrain. Or l’on sait que les mesures éducatives ordonnées ne sont pas toujours mises en œuvre dans des délais raisonnables ; l’engorgement de certaines juridictions aboutit à des retards de jugement alors même qu’il est devenu difficile, dans un contexte social de chômage de masse, de s’appuyer sur le monde du travail pour favoriser la réinsertion des jeunes.
Cette surenchère législative, déconnectée du réel s’adresse à un citoyen amnésique, qui n’est supposé sensible qu’à la ré-activation permanente du sentiment de peur !
II/ Un projet reposant sur la pénalisation des comportements des familles et des mineurs et sur un manque de perspective d’avenir.
La crise des banlieues de novembre 2005 a montré le rôle central et positif que pouvait avoir le maire, autorité la plus proche du terrain et garant du lien social. A ce titre il est légitime qu’il soit impliqué dans la politique de prévention.
Encore faut-il que sa place et sa mission n’en soient pas perverties et qu’une juste distance soit respectée dans la coordination de son action et de celle de ses partenaires sociaux, administratifs et judiciaires.
A défaut de cette condition, il devient “un père fouettard”, un délégué du procureur ou un auxiliaire de police perdant l’autorité morale dont il devrait disposer et qui transcende sa couleur politique. Il se réduira à une fonction de justicier bien éloignée de son rôle de médiateur des habitants de sa commune.
C’est ce qui risque de se produire si le texte du ministère de l’intérieur est avalisé par la représentation nationale ; son article 5, manifestement remanié à plusieurs reprises, ne permet toujours pas de savoir si le coordonnateur désigné par le maire est choisi parmi les personnes intervenant déjà dans la famille ou en dehors d’elles ni quelles informations, nécessaires à l’exercice de la compétence du maire doivent être portées à sa connaissance en dépit du secret professionnel.
Le projet présenté par le ministre de la famille sur la protection de l’enfance définissait les contours et les objectifs du partage de l’information entre intervenants de terrain ; il ne s’écartait de la règle du secret professionnel que pour améliorer la protection de l’enfant et le suivi social des familles en difficulté.
Tout au contraire le ministre de l’intérieur s’oriente vers une conception élargie du secret professionnel, qui devient un instrument de délation et permet la constitution de fichiers municipaux des enfants et familles en grande difficulté sans aucune garantie pour les citoyens et d’une utilité douteuse. L’objectif affiché de ce partage étant la prévention de la délinquance, les bénéficiaires de toute action sociale (aide financière même ponctuelle, travailleuse familiale, mesure éducative…) seraient placés au rang de personnes qu’il convient de surveiller parce qu’elles présentent des risques particuliers. Une telle approche risque de ruiner la confiance indispensable aux travailleurs sociaux admis dans l’intimité de la vie privée.
Dans le projet, les troubles du comportement de l’enfant ou l’absentéisme scolaire sont considérés comme les révélateurs d’une dangerosité, et non plus comme un signe justifiant une démarche de protection de l’enfance.
Dans le contrat de responsabilité parentale les difficultés éducatives sont analysées comme des carences de l’autorité parentale justifiant la mise sous contrôle des familles, susceptibles de sanctions pécuniaires.
Ces orientations traduisent toutes une défiance à l’encontre de la capacité des individus concernés à s’approprier le bénéfice des mesures d’aide éducatives ; elles sont guidées par la seule recherche de sécurité publique, au détriment du respect des personnes.
Elles viennent également disqualifier l’intervention des travailleurs sociaux. Et de manière plus générale de tous les acteurs du champs social.
III/ Rapprochement de la justice des mineurs de celle des majeurs
L’avant projet de loi relatif à la prévention de la délinquance exprime une vision exclusivement policière de l’ordre public dans la commune ; il ne se fonde sur aucune analyse criminologique sérieuse de la délinquance des mineurs dont on sait pourtant qu’elle obéit à des mécanismes différents de ceux de la délinquance des adultes.
Une fois de plus la France tourne le dos à ses engagements européens et internationaux, particulièrement à la recommandation émise en 2004 par le Comité des Nations Unies sur les droits des enfants, d’ailleurs reprise par le Conseil constitutionnel en 2002, du traitement des affaires de mineurs par des instances spécialisées.
En effet, après le vote de la loi concernant la répression de la récidive dont les mineurs n’ont pas été exclus, la création du fichier des auteurs d’infractions sexuelles où ils figurent en bonne place, le mouvement d’alignement de leur traitement sur celui des majeurs se poursuit avec l’extension à leur égard de la composition pénale, l’élargissement du contrôle judiciaire, l’introduction de la comparution immédiate…
L’équilibre de la justice des mineurs est fondé sur la complémentarité de ses deux critères d’intervention, l’assistance éducative et le pénal. La gradation des réponses, fondée sur la distinction entre la mesure éducative et la sanction pénale, est remise en cause. Ainsi, les expérimentations éducatives innovantes (mesure de réparation, prise en charge de jour…) sont elles détournées de leur objectif d’accompagnement d’un adolescent dans sa construction personnelle pour devenir des modalités de la sanction pénale.
Il s’agit là d’une véritable démission des adultes par rapport à leurs responsabilités éducatives, au nom de la lutte nécessaire contre l’insécurité : l’abandon de l’effort des adultes pour éduquer et accompagner les jeunes est concomitant de la pénalisation des errements de l’adolescence.
C’est pourquoi l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), attachée aux valeurs humanistes nécessaire à la prise en compte des jeunes en difficulté, appelle à une réforme de l’ordonnance de 1945 devenue inefficace, incompréhensible et même dangereuse par la multiplication des ajouts à caractère répressif sur un texte d’orientation éducative, ce qui lui enlève toute cohérence et autorise une multiplicité d’interprétations.
L’AFMJF préconise un large débat public sur la responsabilité des jeunes délinquants mais aussi sur celle des adultes à leur égard et plus généralement sur la prise en charge des jeunes en grande difficulté. Ce débat s’inscrirait lui-même dans la mise en place d’Etats Généraux de la Jeunesse.
L’AFMJF propose de donner au maire des pouvoirs et des responsabilités non pas en amont de la délinquance, ce qui relève de la compétence du conseil général en matière de signalement, mais en aval. En effet, le domaine de la réinsertion, considérée comme une prévention de la récidive, est aujourd’hui complètement négligée par les pouvoirs publics.
Quant aux formes et aux limites de la sanction, l’AFMJF invite à une réflexion prospective sur les mérites comparés du système actuel, fondé sur la menace de l’incarcération, et d’une orientation nouvelle autour de la réparation. Ce nouveau système serait fondé sur la restauration pragmatique des dégâts causés par l’infraction tant à la victime, à la société qu’à l’avenir du jeune délinquant lui-même. On s’efforcerait ainsi de rétablir le lien social dans tous ses aspects.
A cet effet, l’AFMJF suggère la mise en place d’une procédure souple, originale par rapport au droit commun tenant compte de la plasticité propre aux adolescents : après la détermination rapide de ses responsabilités, le mineur délinquant reconnu coupable serait mis en demeure de modifier son comportement général et d’accomplir les obligations mises à sa charge, y compris le dédommagement de la victime. Durant cette période d’épreuve, une investigation de personnalité et (ou) un accompagnement éducatif permettrait de préparer utilement le jugement final.
Consciente d’une continuité personnelle indispensable de la tenue du rôle judiciaire dans un tel système, l’AFMJF préconise enfin une politique énergique de restauration de la formation et de la spécialisation au sein de la juridiction des mineurs, humanisation sans laquelle l’intervention judiciaire n’a aucune crédibilité aux yeux de jeunes.
Le 12 juin 2006
AFMJF, Tribunal pour Enfants de Paris, 4 bld du Palais, 75001 Paris
Pour tout contact presse :
Robert Bidart, président de l’AFMJF, juge des enfants à Pau - 06 20 19 63 40
Catherine Sultan, Secrétaire Générale AFMJF, vice-présidente à Créteil - 06 18 04 06 48
Thierry Baranger, ancien président de l’AFMJF, premier juge des enfants à Bobigny - 06 63 71 48 65
Martine de Maximy, vice-présidente de l’AFMJF, présidente du tribunal pour enfants de Nanterre 06 07 18 61 00