21 novembre 2007
Les tribunaux pour enfants suivants ont fait savoir qu’ils n’étaient pas preneurs pour participer à l’expérimentation visant à séparer les compétences civile et pénale du juge des enfants :
Nanterre, Créteil, Bobigny, Pontoise, Lille, Versailles, Montpellier, Marseille, Nice, Grasse, Toulon, Draguignan, Nancy, Limoges, Lorient, Perpignan, Toulouse, Pau, Lyon, Valence, Montauban, Dunkerque, Grenoble, Carpentras, La Roche sur Yon, Bonneville, Chambéry, Thonon les Bains, Annecy, Le Mans.
Lire les lettres officielles des tribunaux pour enfants de :
Créteil
; Lille
; Limoges ;Nouméa ; Pontoise ; Nanterre ; Paris.
22 septembre 2007
L’AFMJF fait part de ses plus vives inquiétudes à la lecture de la note adressée le 17 septembre
2007 par la ministre de la justice aux chefs de cours aux fins de voir confier à deux juges des
enfants distincts les procédures civiles et pénales concernant un même mineur, dans le cadre
d’une expérimentation d’une année.
Une telle orientation constitue une remise en cause des fondements mêmes de la justice des
mineurs, laquelle assume tant la protection des enfants en danger que le traitement de la
délinquance des mineurs, incarnant ainsi dans leur complémentarité les responsabilités de
protéger, d’éduquer et de sanctionner.
On veut remettre en cause cette double compétence du juge des enfants alors que :
– Une approche globale de l’enfance permet de prendre la mesure de la complexité d’une
situation individuelle et d’agir efficacement sur l’avenir.
– Une intervention dans la durée peut seule apporter une connaissance fine des enjeux
d’une situation et de la réalité d’un territoire et constitue ainsi un levier précieux de
prévention.
Pour justifier cette expérimentation, il est fait état de l’ambiguïté qui résulterait pour un mineur
qu’un même magistrat soit chargé de sa protection lorsqu’il est en danger et soit amené à le juger
lorsqu’il commet une infraction.
Au contraire, les juges des enfants constatent quotidiennement que leur légitimité et leur autorité
à l’égard des enfants et de leurs parents s’appuient sur l’application juste d’une loi qui permet de
protéger quand il le faut et de sanctionner quand c’est nécessaire.
Le discrédit de la justice des mineurs ne résulte pas d’un problème de positionnement des juges
des enfants, mais de l’absence d’application effective et dans des délais raisonnables de leurs
décisions tant en matière pénale qu’en assistance éducative, faute de moyens suffisants mis au
service de leurs missions.
Nous regrettons de ne pas avoir eu l’occasion de témoigner de cette expérience auprès de la
ministre de la justice, la note appelant à la mise en oeuvre de cette expérimentation étant
parvenue à notre connaissance sans consultation préalable de l’association représentative des
juges des enfants.
L’AFMJF, soucieuse de préserver les fondements d’une justice des mineurs spécialisée,
appelle donc l’ensemble des magistrats de la jeunesse à refuser de participer à cette
expérimentation.
Avis de l’AFMJF du 15 octobre 2007 sur l’expérimentation de la séparation des fonctions civiles et pénales des juges des enfants
Dans une note du 17 septembre 2007 adressée aux premiers présidents et procureurs généraux, le Garde des Sceaux exprime le souhait que la séparation du traitement de
l’assistance éducative et de la délinquance soit expérimentée sur la base du volontariat au sein
de tribunaux pour enfants : la double compétence du juge des enfants serait en effet source d’incompréhension pour les enfants et leurs familles. Accessoirement, la technicité accrue du droit pénal des mineurs depuis les lois du 9 septembre 2002 et du 9 mars 2004 justifierait la
spécialisation au pénal de certains juges.
Le projet repose sur un postulat si fragile, contestable, et pour tout dire incongru, qu’on ne peut s’empêcher de penser que, pour contrer le prétendu laxisme congénital de certains magistrats, la chancellerie veut en réalité régenter, non seulement la composition des menus,
mais aussi le choix du cuisinier.
L’unicité de la justice des mineurs : une construction progressive et pragmatique.
Le juge des enfants a été créé par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Il peut, en fonction des éléments liés à la personnalité du mineur ou aux circonstances de l’affaire, instaurer une mesure éducative ou prononcer à l’encontre de l’auteur de l’infraction une sanction pénale.
A l’épreuve de la réalité, les juges des enfants ont vite constaté qu’une approche exclusivement pénale ne permettait pas de traiter efficacement les situations qui leur étaient soumises. Les difficultés importantes, ancrées de longue date rencontrées chez les mineurs délinquants, rendaient nécessaire une intervention plus précoce ; soumettre l’instauration d’une mesure éducative à la commission préalable d’un délit ne permettait pas d’intervenir utilement.
C’est dans ce contexte que, l’ordonnance du 23 décembre 1958 a confié aux juges des enfants le soin d’intervenir avant tout délit à l’égard des enfants en danger, créant ainsi une véritable juridiction de l’enfance en difficulté.
Aucun type d’organisation n’ayant été imposé aux tribunaux pour enfants, ceux-ci ont réparti le travail en leur sein de manière pragmatique, en respectant scrupuleusement l’esprit de la loi : sur un territoire donné, le traitement conjoint du civil et du pénal a été confié à un même juge . Cette sectorisation permet, grâce à un maillage géographique serré, une meilleure connaissance du terrain, ainsi qu’une identification et une mobilisation plus faciles des ressources et du partenariat local, qu’il soit social, éducatif, scolaire ou médical.
Une telle organisation devrait logiquement recevoir une validation supplémentaire, au moment où le législateur prône l’implication du judiciaire dans les politiques locales.
Pour une approche globale de la minorité Notre modèle de justice repose sur l’idée fondamentale selon laquelle la société doit assumer une responsabilité d’éducation et de protection à l’égard des plus jeunes, y compris des délinquants ; les statuts réducteurs d’auteur ou de victime ne suffisent pas à situer des mineurs qui sont souvent à la fois l’un et l’autre.
Le juge des enfants intervient tantôt à l’égard des mineurs en danger tantôt vis-à-vis des mineurs délinquants, avec évidemment une réponse distincte dans chacune de ces situations : protection dans un cas, mesure éducative ou sanction pénale dans l’autre ; mais la démarche intellectuelle reste la même. Il s’agit, à partir d’une situation problématique (fugue prise de risque, rupture scolaire, violences subies, infraction commise) d’en comprendre le sens relativement à une situation personnelle, familiale, sociale, éducative mouvante puis de définir les moyens propres à dissoudre peu à peu les composantes du danger.
La justice des mineurs tire sa légitimité de cette approche globale. Son autorité se construit à partir de l’application juste d’une loi qui permet de protéger quand il le faut et de sanctionner quand c’est nécessaire. A l’instar des parents au sein de la cellule familiale, ou de
l’enseignant dans sa classe, le juge incarne à l’égard de l’enfant une autorité légitime parce qu’elle prend en considération tant ses droits et ses besoins que ses devoirs et ses obligations.
Le démantèlement d’un système ambitieux
La crainte d’une confusion qui pourrait naître de la double compétence du juge des
enfants néglige tout à la fois les bénéfices résultant de la sectorisation rapprochée et ceux qui
s’attachent à la connaissance d’un parcours grâce à une implication durable dans le suivi des
situations.
Il appartient au juge des enfants d’expliquer au mineur et à ses parents que la loi intervient tant pour le protéger que pour le sanctionner s’il est responsable d’un acte
délinquant.
Cette pédagogie ne relève pas du simple discours ; elle peut se traduire par la décision de clôturer une procédure d’assistance éducative et de poursuivre au titre d’une mesure pénale. Au contraire, quand un mineur condamné évolue de façon satisfaisante, il est important de lui signifier que la justice qui a su le sanctionner, sait aussi tirer les conséquences de ses progrès pour lui apporter l’aide le soutien auquel son jeune âge lui donne droit. En outre, quand des circonstances particulières l’exigent, rien n’interdit à un juge des enfants de
s’entendre avec un collègue pour lui « sous- traiter » ponctuellement un dossier pénal si un risque d’ambiguïté prenait corps.
Loin d’affaiblir la crédibilité de la justice des mineurs, la spécialisation globale du juge
des enfants le protège contre la tentation de s’affranchir de la complexité.
Au pénal, il applique la loi en gardant à l’esprit l’importance du travail avec la famille. Il fait
preuve de fermeté tout en temporisant lorsque c’est nécessaire.
De même lorsqu’il statue en assistance éducative, il privilégie la négociation mais n’oublie
pas la possibilité dans certains cas de recourir à la force publique.
Il jouit ainsi d’un double point de vue particulièrement précieux qui lui permet de
replacer instantanément les passages à l’acte dans leur contexte, de les mettre en perspective,
de les situer sur une trajectoire ; la problématique d’un adolescent n’est pas morcelée en
fonction de la nature de la procédure traitée.
Agissant sur les difficultés éducatives rencontrées par les parents, cette approche constitue
aussi un vecteur important de prévention de la délinquance.
Le risque de multiplier les incohérences de la réponse judiciaire
Enfin, le suivi d’un jeune en grandes difficultés exigeant une parfaite coordination des
réponses éducatives, judiciaires, voire médicales, seule la double compétence civile et pénale
permet au juge des enfants d’avoir une connaissance suffisante des situations, condition
nécessaire à l’élaboration de décisions adaptées.
En matière pénale, les investigations sur la personnalité sont forcément circonscrites
dans le temps et souvent réduites. Inscrite dans la durée, l’assistance éducative donne bien
davantage d’éléments et permet d’éviter des mesures incohérentes entre elles ou redondantes.
Une séparation des champs de compétence priverait le juge pénal d’une connaissance qui va bien au-delà des simples recoupements informatiques et lui imposerait à l’impromptu de se renseigner auprès de collègues, de manière peu compatible avec la nécessaire rapidité de la réponse pénale.
Dans ses fonctions civiles, le juge des enfants n’est pas tenu systématiquement informé des actes de délinquance commis par l’ adolescent qu’il suit en assistance éducative, celui-ci et ses parents étant eux mêmes généralement peu enclins à en parler. Or la commission d’une infraction, seul ou en groupe, est un événement aussi important à connaître qu’une fugue, un conflit familial ou une tentative de suicide. La double compétence est la seule garantie d’une telle information.