Nos vies de moins en moins privées, nos enfants de plus en plus suspects. Communiqué collectif sur le projet de loi sur la prévention de la délinquance.

Depuis plus de trois ans, le ministre de l’intérieur prépare, sans consulter aucun des
acteurs concernés, un projet de loi relatif à la “prévention de la délinquance”. Dans le
contexte de la pré-campagne présidentielle, il veut imposer ce texte à tout prix. Ainsi,
il n’a pas hésité à aller soutenir son projet devant les commissions des lois et des
affaires sociales de l’assemblée nationale, alors qu’aucun projet de loi n’avait encore
été examiné en conseil des ministres. Au delà de l’aspect compilation qu’il présente, et
de l’instrumentalisation politicienne du thème de la délinquance qui le sous-tend, les
éléments connus de ce texte permettent de dire qu’il ne constitue pas une réforme de
plus, mais participe de la mise en place d’un projet global de société toujours plus
sécuritaire.

Les personnes fragilisées désignées comme fauteurs de troubles

Les personnes socialement fragiles, enfants, familles, consommateurs d’alcool ou de
produits stupéfiants, malades mentaux, sont ainsi considérées essentiellement comme
sources de trouble potentiel à l’ordre public et traitées comme telles.

Au nom de la prévention de la délinquance, les personnes faisant appel aux services
sociaux devraient ainsi être systématiquement signalées au maire sur la base du
critère particulièrement large et flou résultant du fait qu’elles présentent des
"difficultés sociales, éducatives ou matérielles".

Au nom de la prévention des troubles pour autrui ou des menaces pour l’ordre, la
sécurité ou la tranquillité publique, les parents pourraient se voir imposer, sous
l’autorité du maire, toutes sortes de contraintes (contrat de responsabilité parentale,
rappel à l’ordre, tutelle aux prestations sociales,…). Là où les familles en difficulté
pouvaient être aidées dans une logique de solidarité, elles seraient fichées et soumises à
des injonctions sans efficacité, visant leurs moindres comportements.

Un dépistage d’enfants « agités » serait systématisé dès la crèche et l’école
maternelle. Par le regard prédictif porté sur eux, à partir d’une corrélation abusive
entre leur difficulté de tout petit et une évolution supposée vers la délinquance, ces
enfants se trouveraient alors enfermés dans le carcan d’une image catastrophique de
futur délinquant au mépris de l’avis unanime des professionnels de santé et de la petite
enfance et des citoyens, exprimé par près de 200 000 signataires de la pétition
« Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans ».

Enfin, alors que les addictions (consommations d’alcool et de stupéfiants) feraient
l’objet d’un traitement judiciaire renforcé et toujours plus intrusif, au détriment
d’une prise en compte en tant que problème de santé publique, l’hospitalisation
psychiatrique sous contrainte se trouverait elle aussi soumise à la prééminence de
préoccupations d’ordre et de tranquillité publique. Ainsi toute hospitalisation à la
demande d’un proche serait exclue en cas de trouble à l’ordre public ou de risque pour
la sécurité des personnes, l’autorité publique étant alors exclusivement compétente
pour prononcer l’hospitalisation sous contrainte.

Des atteintes aux principes et libertés fondamentales

Sous prétexte de prévenir la délinquance, ce projet porte atteinte à des libertés
fondamentales ou à des principes directeurs de notre ordre juridique.
Dans un contexte déjà marqué par leur multiplication, la création de 2 nouveaux
fichiers informatiques est annoncée :

  • fichier municipal des enfants d’âge scolaire ;
  • fichier des personnes hospitalisées d’office en psychiatrie, consultable par les
    autorités judiciaires, la police, le préfet et conservant les informations pendant une
    durée de 5 ans.

D’autres mesures du même ordre ont été évoquées : fichier des "rappels à l’ordre"
adressés par le maire, véritable casier judiciaire municipal, "carnet de
comportement" pour les enfants.

La possibilité reconnue au maire de procéder à des "rappels à l’ordre", pour
sanctionner des comportements ne constituant pas des infractions pénales, mais de
simples atteintes "aux règles de la vie sociale", bat quant à elle en brèche le principe
fondamental de légalité des délits et des peines.

Le droit des mineurs et lui aussi mis à mal. L’instauration d’une peine d’initiation au
travail dès 13 ans, après l’apprentissage dès 14 ans créé par la loi “égalité des
chances”, remet un peu plus en cause l’interdiction de faire travailler un mineur
avant 16 ans. La création d’une procédure de quasi- comparution immédiate pour les
16-18 ans signerait la fin de la spécificité de la justice des mineurs : il s’agirait de
juger avant tout des faits, faisant fi de la compréhension du parcours et de
l’environnement social et familial.

Surtout, le secret professionnel des travailleurs sociaux risque d’être remis en cause
par l’institution d’un partage d’information obligatoire. L’institution d’un
"coordonnateur", désigné par le maire pour collecter les informations, ne constitue pas
une garantie effective pour les usagers. Assuré par une personne placée sous la
dépendance directe du maire, et chargée de lui transmettre des informations sur la base
de critères particulièrement larges ("informations nécessaires à l’exercice de ses
compétences dans le domaine sanitaire et sociale et de la veille éducative"), ce filtre
apparaît en pratique parfaitement illusoire.

Ces orientations signeraient l’abolition programmée du secret professionnel et
viendraient dynamiter la pratique actuelle du "secret partagé" entre professionnels du
travail social ou de la santé, qui repose sur des échanges d’informations ponctuels,
préalablement concertés et circonstanciés, après information des personnes
concernées, avec une finalité précise comme la protection de l’enfance ou la continuité
des soins.

L’institution d’un échange d’information systématique et généralisé par le biais du
coordonnateur, procède en fait d’une logique de défiance envers les travailleurs
sociaux, oublieuse des pratiques actuelles du travail en réseau initiées par les
travailleurs sociaux eux-mêmes.

Cette remise en cause du secret professionnel risque de rompre le lien de confiance
nécessaire entre le travailleur social et l’usager. Les attitudes de défiance et de rejet
vis-à-vis des travailleurs sociaux, risqueraient de se renforcer. Des familles de plus
en plus en difficulté seraient de moins en moins accessibles à l’aide et au soutien des
professionnels… Le mépris des droits des usagers conduirait donc à une dégradation
générale de leur situation.

Un maire aux pouvoirs exorbitants

Déjà investi de quasi-pouvoirs de procureur par la loi égalité des chances qui lui
permet de proposer pour certaines infractions des peines de travail d’intérêt général,
le maire se verrait confier des pouvoirs de contrôle dans de nombreux domaines de la
vie de ses administrés : coordonnateur de l’action sociale, tuteur de la vie et de
l’intimité des familles, contrôleur de l’assiduité scolaire, responsable en première
intention des placements d’office psychiatriques, juge des comportements antisociaux…

Sans répondre à une revendication majoritaire de ces élus, ces prérogatives du maire
sont imposées au risque de nombreuses confusions des rôles institutionnels au regard
des compétences du président du conseil général, de l’institution judiciaire ou de
l’éducation nationale.

Ces compétences nouvelles empiètent particulièrement sur celles du conseil général
relatives à la protection de l’enfance, au risque de faire perdre toute lisibilité à
l’ensemble et surtout, au risque d’exposer les familles à des interventions multiples et
incohérentes.

Ce cumul de pouvoirs -y compris de pouvoirs de sanction- confiés à une autorité
particulièrement soumise aux pressions de l’environnement immédiat, constitue un
danger pour les libertés individuelles.

Ces nouvelles compétences constitueront un piège pour les maires chargés de répondre
à de nouvelles attentes de leurs concitoyens, sans moyens à la hauteur des enjeux. Ce
piège pourrait être encore plus important pour les maires des villes populaires que le
reflux de la puissance publique d’Etat laissera seuls exposés aux difficultés sociales de
leurs concitoyens.

Les organisations présentes dénoncent les dangers et demandent le retrait des principales dispositions de ce projet de loi sur la prévention de la délinquance.

Elles rappellent la nécessité :

  • de proscrire tout mélange des genres entre relation d’aide, soutien éducatif, actions de prévention ou de soins d’une part et prévention de la délinquance d’autre part ;
  • de valoriser réellement dans les pratiques des différents services et professions les approches partenariales et le travail en réseau, dans le respect du secret professionnel et des droits des familles, pratiques qui, bien souvent, ne reposent actuellement que sur la bonne volonté de
    quelques individualités ; ce qui suppose la prise en compte des temps de concertation, la mise en oeuvre de formations communes, etc.
  • de doter les services, médecine scolaire, PMI, psychiatrie et pédopsychiatrie, PJJ, services sociaux, tribunaux pour enfants, de moyens à la hauteur de leurs missions, ce qui, de notoriété publique, n’est pas le cas.

Collectif National Unitaire de Résistance à la Délation

(CGT, FSU, Solidaires, Ligue des Droits de l’Homme, SUD Santé-Sociaux, SUD C-T, SNPES-PJJ,
SNEPAP, SNUAS-FP, SNU-Clias, SNES, SNUIPP, Syndicat National des Médecins de
PMI, Syndicat de la Magistrature, Syndicat des Avocats de France, Union Syndicale de la
Psychiatrie, Syndicat National des Psychologues, CNT, A.C.!, Collectif des Etudiants en
Travail Social, Collectif pour les Droits des Citoyens Face à l’Informatisation de
l’Action Sociale),

Collectif "Pas de zéro de conduite pour les enfants de
trois ans"

Syndicat de la médecine générale, Association nationale des
Assistants Sociaux, Coordination Permanente des Organisations, France
CESF, Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la
Famille.