EDITORIAL DE LA PRESIDENTE
Élue en septembre 2012 Présidente de l’AFMJF, j’ai été reconduite dans mes fonctions en 2015 malgré mon appel aux nouvelles générations pour assurer la relève.
Sans reprendre les thèmes du rapport d’activité de 2012, 2013 et 2014 où je développais les objectifs de l’AFMJF, je souhaiterais mettre l’accent sur un des enjeux forts de notre association qui est l’ouverture à de nouveaux professionnels investis dans la protection de l’enfance et la justice des mineurs.
J’insisterai en particulier sur l’insuffisante implication de nos collègues que l’on souhaite toujours plus nombreux à une époque où le militantisme s’essouffle, où chacun déjà très mobilisé par ses activités professionnelles a du mal à prendre encore sur son temps pour participer et nourrir les échanges pourtant nécessaires entre professionnels, où, si l’on n’y prend garde, chacun peut être tenté de se replier sur un fonctionnement technique rassurant, mais peut être parfois humainement discutable.
La complexité des situations conduit le juge des enfants à trouver une solution parfois mal taillée, la solution la moins mauvaise révisable à tout moment, et résoudre des dilemmes porteurs d’incertitudes et de paris sur l’évolution d’une situation familiale. Quel risque pour l’enfant, quel risque pour les parents, quel risque peut prendre finalement le juge en plaçant ou ne plaçant pas, en incarcérant ou non un mineur, en maintenant ou non les liens familiaux ?
La charge de travail des juges des enfants a conduit l’association à faire un travail de définition de l’ensemble de leurs missions et alerter ainsi les collègues et la chancellerie sur les risques d’erreur dans les décisions prises ou les risques qui résulteraient d’une omission ou d’une inaction, que ce soit en assistance éducative, au pénal y compris dans les fonctions de l’application des peines.
Si les juges des enfants ont trop de dossiers, ils ne convoquent plus aussi régulièrement, ils peuvent être tentés de décider seul, certaines décisions sont reconduites sans audience, au vu du dernier rapport éducatif ; et en post-sententiel, si les rapports ne rentrent pas, les mineurs ne sont plus suivis avec la vigilance qui s’impose. Or le champ d’intervention du juge des enfants est sensible quand il s’agit de placer ou ne pas placer un enfant, d’éloigner un enfant délinquant de son quartier, de sa famille, préparer un éloignement, prendre le temps de recevoir les mineurs et leur famille, les services, faire le choix du lieu de placement, apprécier les modalités du maintien du lien familial, connaître l’ensemble des services de son territoire et au-delà lorsqu’on place en CEF ou dans des établissements de soins, prendre le temps de recevoir les victimes et être à leur écoute, victimes souvent elles-mêmes mineures, (la délinquance des mineurs portant souvent sur d’autres mineurs plus jeunes ou plus faibles), en un mot rendre une justice juste, comprise, et acceptée.
Les sujets sont multiples, et sensibles ; nous organisons chaque année dans le cadre de notre assemblée générale, un colloque où les débats et les réflexions qui respectent les convictions de chacun, tendent à construire une culture commune. Certains points font consensus, d’autres non, les positions peuvent bouger et évoluer au cours des mois.
Ce temps privilégié qui a lieu les 5 et 6 juin 2015 sur le thème de « la religion et la laïcité dans la construction identitaire de l’adolescent », est l’événement le plus visible de notre activité. Il a suscité un intérêt certain de la part de nos collègues, du siège et du Parquet, du TGI et de la cour d’appel , des collègues n’étant pas exclusivement juges des enfants pour ce qui concerne les magistrats parisiens.
L’intervention de sociologues de l’Institut des études sur les sociétés musulmanes en France et en Europe a donné un éclairage très intéressant à un sujet encore méconnu lorsque ce sont tenues ces deux journée de colloque.
Un CR de ces travaux figure sur le site de l’AFMJF.
Cet événement est très visible mais il n’est pas le seul.
En octobre 2015, l’AFMJF en lien avec sa section européenne, a organisé de façon exceptionnelle un séminaire européen auquel ont participé aux côtés des juges français, des collègues juges des enfants anglais, italiens, polonais, suisse, belge, allemand, portugais,… sur le thème de la radicalisation des jeunes en Europe. Une dizaine de nationalités était représentée, à laquelle s’étaient joint des collègues canadiens et brésiliens ; les travaux du colloque du printemps sur “la laïcité et la religion dans la construction identitaire de l’adolescent” traduits en anglais ont ainsi été remis à nos collègues non francophones, un exemplaire ayant été par la suite adressé à la commission européenne. Il figure sur notre site internet.
L’idée est de tenter désormais d’orienter nos travaux sur des questions qui sont au cœur des préoccupations de nos homologues européens ou qui croisent les travaux menés en Europe ou dans un pays avec lequel nous pouvons tirer des enseignements utiles sur un sujet donné. Ce axe a été maintenu en 2016 où l’AFMJF a centré son thème de réflexion sur les paradoxes du passage à la majorité, à la suite de travaux menés au Canada et suivis par quelques collègues.
Ce que j’avais eu l’occasion de souligner les années précédentes, c’est la nécessité d’initier et impulser par ailleurs, à côté de notre rassemblement national, une dynamique régionale qui permette à nos collègues et à leurs partenaires de se retrouver sur des thématiques nationales ou locales. Nous avons désormais une représentation plus large sur le territoire avec davantage de délégués régionaux. Leur liste et leurs coordonnées se trouvent sur le site de l’AFMJF. Ceux-ci font le même constat de la difficulté à mobiliser les collègues. La présence des juges des enfants coordinateurs, des conseillers chargés de la protection de l’enfance dont l’une des missions est d’assurer l’animation de leur juridiction ne facilite pas le positionnement des délégués régionaux de l’association auprès de collègues déjà surchargés de travail et trop souvent tenus de remplacer les magistrats dont les postes sont restés vacants.
Malgré cet environnement institutionnel peu porteur, nous restons convaincus de la nécessité de faire vivre notre association au niveau régional et local. Nous avons convenu au niveau national avec la Fédération nationale des assesseurs des présidents des tribunaux pour enfants (FNAPTPE) et le Barreau de rapprocher les délégués régionaux de l’AFMJF, de correspondants en province assesseurs des tribunaux pour enfants et avocats spécialisés pour mineurs.
C’est dans cette dynamique là que l’AFMJF a décidé de lancer une pétition en faveur de la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 pour laquelle elle s’est mobilisée très largement et depuis longtemps. Cette motion a été plutôt bien accueillie, par plus de 150 signataires, outre des collègues magistrats, par des élus, de directeurs d’associations et de fédérations du champ de la protection de l’enfance mais aussi du champ social et humanitaire, des avocats des mineurs, du barreau de Paris, et par des personnes très éloignées de notre champ d’intervention.
Au delà de l’objet premier de cette motion, cette initiative a permis à l’association de se faire mieux connaître, de positionner ses délégués régionaux auprès de nos collègues juges des enfants en juridiction et d’évaluer avec la prudence qui s’impose la perception de la justice de la part de nos interlocuteurs.
Dans cet ordre d’esprit, au cours du dernier trimestre 2014, nous nous étions rapprochés du Forum français pour la sécurité urbaine afin de développer des relations entre notre association et ce réseau de villes. Une convention a été signée en janvier 2015. Une première journée s’est tenue à Bordeaux début 2016 avec notre délégué régional en fonction à Bordeaux, son collègue du parquet des mineurs, la représentante du Forum et des représentants des villes de Bordeaux, Talence et Lormont. D’autres rencontres sont prévues courant 2016.
Nous tâchons dans la mesure de notre disponibilité, de faire connaître les enjeux de cette justice des mineurs si mal connue de nos concitoyens, par des auditions à l’assemblée nationale, au sénat, des interviews radio, TV, réalisation de film et autres actions de communication. L’impact est sûrement insuffisant bien que l’AFMJF soit de plus en plus souvent sollicitée pour des interviews ou des questions juridiques de la part de journalistes mais c’est aussi et surtout par l’engagement de chacun, la qualité de l’écoute, le souci d’explication de nos décisions, la prise en compte de la complexité des parcours des enfants et de leur famille et par la qualité des réponses apportées en lien avec nos partenaires que nous assurerons au mieux la mission de protection qui est la nôtre.
Marie-Pierre HOURCADE
Post-scriptum : Le rapport d’activité 2015 de l’AFMJF est disponible en pièce-jointe, en haut à droite de l’article.