Un jeune peut encore modifier sa trajectoire.

par Marie Rose Moro, chef du service Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Avicenne de Bobigny, professeur de psychiatrie à Paris XII.

NOUVELOBS.COM | 27.06.2007 |

Dans nos sociétés occidentales riches saturées d’informations, riches en stimulations pour les plus jeunes, est-on encore un adolescent entre 16 et 18 ans ?

 L’adolescence, phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte, est beaucoup plus longue aujourd’hui qu’hier, dans nos sociétés. Tous les spécialistes de la jeunesse le savent et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le dit. Il y a quelques années, avec des rites comme le mariage ou le service militaire, on passait beaucoup plus vite du statut d’enfant à celui d’adulte. L’évolution de la société a donné aux enfants le droit de parler de sujets qu’ils n’abordaient pas jusque là, elle les a éveillés, par la télévision entre autres, à des domaines qui ne les concernaient pas.

Mais cela ne change rien au fait qu’entre 16 et 18 ans, ils sont encore enfants, adultes en devenir. Leur personnalité n’est pas fixée, elle peut encore profondément se modifier. Tous les chercheurs en sciences humaines et médicales le disent dans leurs travaux. Il est étonnant de faire une loi moderne sans tenir compte de ces travaux incontestés. Les traiter comme des adultes présente des risques majeurs pour eux…

Y a-t-il, selon vous, des cas où la prison se justifie, pour un mineur ?

 La prison est sans doute nécessaire, dans nos sociétés, puisqu’on n’a rien trouvé d’autre. Mais c’est un lieu de violence terrible, qui fabrique de la délinquance. Ce système destructif a plus d’impact sur des êtres en développement que sur des adultes. Il fixe les adolescents dans un destin négatif, ajoute une nouvelle violence à celles qu’ils sont subies. On fabrique du traumatisme, ce qui n’est pas bon pour la collectivité. Mettre en prison des jeunes de cet âge-là est un constat d’échec de notre société.
Les textes actuels prévoient déjà la prison pour les mineurs, dans certains cas qui doivent rester exceptionnels. S’il faut vraiment enfermer les adolescents, il faudrait au moins des lieux spécifiques, où ils bénéficieraient d’un accompagnement éducatif.

S’ils ne doivent pas aller en prison, que faire pour éviter les récidives ?

 Face à un ado qui montre des signes de désorganisation, se déscolarise, prend des risques, se fait arrêter par la police, il existe un système de repérages, par les infirmières dans les collèges, les assistantes sociales…Puis de soins, en psychiatrie, si l’adolescent est d’accord. Mais ce premier niveau d’action, efficace, a besoin de voir ses moyens renforcés : en psychiatrie, si un enfant ne vient pas en consultation, on n’a pas les moyens d’aller vers lui, on se contente de soigner ceux qui viennent.

La France est dotée d’un système théoriquement intéressant, pour les adolescents qui ont un premier souci avec la justice : la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Mais ce service n’a pas les moyens d’assurer ses missions éducatives, pourtant prévues, et ne peut intervenir qu’en pompier, face à des situations difficiles… Ce système aussi a besoin d’être renforcé.
Les outils existent, même si certains pourraient être améliorés. Mais les moyens ne sont pas en rapport. Aider ces adolescents plutôt que de les enfermer est une décision politique.

Comment peut-on faire le choix d’emprisonner plus souvent les adolescents, alors qu’en amont, on a laissé passer une série de chances ? Tous les professionnels ont réussi à sortir certains jeunes de l’engrenage de bêtises dans lequel ils s’étaient mis. C’est possible, nous le savons. Nous ne devons pas faire un choix de société qui refuse à un adolescent la possibilité de modifier sa trajectoire.

Propos recueillis par Cécile Maillard
(le mercredi 27 juin 2007)