Aujourd’hui comme hier, la délinquance des mineurs reflète les fragilités d’une société et désigne les enjeux à surmonter pour nos enfants, adultes de demain. C’est pourquoi, elle exige en 2011 des choix à la fois ambitieux pour l’avenir de l’enfance en difficulté et ouverts sur les réalités de la société.
Tel fut le défi relevé par le législateur de 1945 qui, en élaborant une charte pour l’enfance délinquante, affirmait également un projet pour la jeunesse, considérée comme porteuse d’espoir.
Avant de proposer des pistes de réforme du droit pénal des mineurs il convient de rappeler que la question de la délinquance juvénile dépasse le seul champ de la justice et implique un engagement plus large.
En effet, dans sa diversité, elle est le miroir d’une multiplicité d’obstacles comme :
- Les incidences de la crise sociale
- L’enclavement des quartiers pauvres
- L’évolution des relations entre générations
- Le rapport de la jeunesse aux institutions
- Les ruptures culturelles
- L’isolement familial
- Les fragilités psychiques
Alors que, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance prône la volonté de privilégier les actions préventives en direction de l’enfance en danger, 4 ans plus tard le chantier reste ouvert pour que cette affirmation devienne une réalité concrète sur le territoire national.
Pourtant, pour parvenir à un traitement juste et efficace de la délinquance juvénile, la justice des mineurs doit pouvoir s’appuyer sur une prévention sociale et éducative forte, en aval et en amont de l’action judiciaire.
Dans ce sens, l’intervention du juge des enfants à l’égard de l’enfance en danger dans le cadre de l’assistance éducative complète naturellement sa compétence en matière pénale et constitue un des leviers essentiels dans le champ de la prévention.
Une réflexion globale sur le renforcement de la prévention est donc indissociable d’une réforme de la justice des mineurs.
Une fois ce préalable posé, l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, riche de l’expérience et de la réflexion collective des juges des enfants, a d’ores et déjà élaboré un projet de réforme du traitement judiciaire de l’enfance délinquante.
En premier lieu l’AFMJF rappelle la pertinence de l’héritage de ses prédécesseurs de 1945 de toujours garder la perspective de l’éducation comme finalité.
Son projet tient compte des attentes sociales et des préoccupations dont l’actualité se fait l’écho, tout en tirant les conséquences des dysfonctionnements que les praticiens constatent dans la réalité des pratiques.
Il s’inscrit donc dans une tradition et cherche à remédier aux incohérences induites par une succession de réformes impulsives qui ont apporté des mauvaises réponses à un vrai questionnement.
Ses propositions opposent à la fuite en avant de lois de circonstances, un projet souple, pragmatique, conforme aux valeurs d’une justice des mineurs humaniste, éducative et spécialisée.
Elles entendent concilier des intérêts régulièrement présentés comme contradictoires : l’intérêt du mineur, l’intérêt de la victime et l’intérêt de la société.
Une réponse judiciaire porteuse de sens : ce que la société peut attendre de sa justice des mineurs
L’activité des juridictions pour mineurs, en particulier dans les ressors très urbanisés, atteste d’un engorgement qui conduit à une gestion anarchique et à une perte de sens.
Aujourd’hui, le dogme de la tolérance zéro aboutit à l’égard des mineurs à un taux de poursuites supérieur à celui atteint à l’encontre des majeurs (plus de 90%)
Plus de la moitié de ces affaires relèvent d’un traitement direct par les parquets, au titre de la « troisième voie ».
Le contenu et l’efficacité des réponses apportées dans ce cadre ne sont ni évalués ni contrôlés.
L’orientation donnée aux procédures se fait « en temps réel » sur la base d’un rapport policier téléphonique par extension du traitement de l’urgence à toutes les situations.
Dans ces conditions, la réponse judiciaire ne repose plus sur l’appréciation d’un acte transgressif à l’aune d’une situation individuelle, mais se fonde sur des critères systématiques, trop simples pour s’ajuster à la complexité de la compréhension des besoins des adolescents.
Elle ne permet pas d’orienter vers d’autres instances (familiales, sociales, scolaires) des procédures de moindre gravité qui viendront encombrer inutilement les tribunaux.
Quand la répétition ou la nature de l’acte commis justifie la saisine du juge des enfants, l’explosion quantitative ne permet pas de garantir la lisibilité et la cohérence des étapes précédentes.
Ainsi, un même mineur, peut faire l’objet de plusieurs convocations à des dates différentes ou être jugé pour une affaire alors que des procédures antérieures n’ont pas été traitées.
Il arrive fréquemment que les décisions prises par le juge des enfants restent lettre morte pendant plusieurs mois après leur ordonnancement et que, à l’occasion d’une réitération, on ne puisse s’appuyer que sur cette carence.
L’autorité judiciaire se trouve discréditée et le temps perdu, pour le mineur, les services et le magistrat.
Pour conclure, la masse à traiter dépasse les moyens dont la justice dispose et les instances intermédiaires sont happées par la logique de la judiciarisation.
On peut noter un paradoxe : à la volonté de déjudisariser la protection de l’enfance s’oppose une judiciarisation des transgressions.
L’étude des évolutions de l’activité des juges des enfants illustre cette tendance forte avec une baisse de l’assistance éducative au profit du pénal qui ne correspond pourtant pas à une modification des comportements adolescents mais à l’appréhension différente qu’en a la société.
Face à un tel constat, il est nécessaire d’inscrire la réponse judiciaire dans une logique réfléchie, lisible et comprise par le mineur, sa famille et les professionnels.
Tout d’abord, par transposition de la règle applicable en matière de finances publiques (LOLF) le nombre d’affaires traitées ne devra pas dépasser les moyens alloués à la justice.
Par ailleurs, le juge des enfants devra disposer de la maîtrise de l’audiencement des affaires.
Le mineur faisant l’objet de poursuites sera convoqué par le juge des enfants avec sa famille et son avocat dans un délai raisonnable et contraint (maximum 2 mois) pour une audience au cours de laquelle seront examinés les éléments de fait et de personnalité et pour déterminer l’orientation adaptée.
Le mineur sera donc rapidement confronté à son juge.
Le parquet, avisé à chaque étape, exercera son rôle d’impulsion et de contrôle.
Une réponse judiciaire réellement éducative : une procédure souple tournée vers la progression du mineur
Les réformes récentes et les orientations de politique pénale à l’égard des mineurs reposent à titre principal sur deux principes : la systématisation et la progressivité du traitement des procédures impliquant des mineurs.
Dans cette logique la seule réponse pertinente à la réitération de l’acte délinquant consiste en une accélération et une rigidité du processus.
La justice privilégie la réponse à l’acte et en néglige les cause, l’éducatif se réduit à une alternative à la sanction.
Le développement des procédures de jugements rapides, la limitation de la marge d’appréciation du juge des enfants, l’application des peines-planchers illustrent cette tendance.
Or, cette approche se trouve rapidement invalidée par les caractéristiques même du comportement des adolescents.
Très souvent les transgressions correspondent à une phase de crise pendant laquelle, pour signifier un malaise passager ou plus profond, le mineur va s’engager dans une surenchère de provocations qui mettent les adultes au défi.
Dans les cabinets de juges des enfants les parcours individuels sont divers.
Souvent le délit restera isolé ; pour certains, une phase de réitération sera suivie d’une accalmie aussi subite que l’emballement ; pour d’autres, les transgressions répétées s’atténueront dans leur gravité ; enfin une minorité s’inscrira dans une délinquance plus affirmée.
Dans chaque cas, il faut prendre le temps de l’analyse et de l’action éducative, pour des situations jamais déterminées a priori.
L’intervention de l’institution judiciaire doit apporter une réponse, accompagner et tenter de contenir tout en ne se fourvoyant pas dans une escalade vouée à l’échec car mimétique avec celle du mineur. A défaut elle prend le risque d’une décision injuste et contre productive, tant pour le mineur que pour la société soucieuse de ré insertion.
La démarche éducative, principe supérieur du droit des mineurs, doit pouvoir se développer et opposer une logique autonome au mineur.
L’AFMJF propose l’adoption d’une procédure qui puisse s’adapter aux besoins de la majorité des mineurs qui occupe les juges des enfants et à la minorité de ceux, en grande difficulté, qui les préoccupe.
Elle oppose la recherche d’une « progression » à l’application de la « progressivité ».
Ces dispositions concilieront une intervention judiciaire rapide tout en ménageant une phase d’investigation et un accompagnement éducatif dans le cadre d’une mise à l’épreuve d’une durée de 6 mois modulable.
L’ensemble des infractions (dans l’hypothèse d’une réitération) seront réunies dans une procédure unique.
Les mesure d’investigation et d’éducation, les mesures répressives s’il y a lieu, seront ordonnées et modifiables dans ce cadre.
A l’issue d’un délai de 6 mois renouvelable une fois, l’orientation de la procédure et le jugement du mineur s’appuieront sur l’évaluation d’un parcours.
L’objectif sera donc de juger un cheminement, soutenu par un suivi éducatif, tout en réagissant aux événements qui peuvent le jalonner.
Cette procédure sera appliquée par un juge des enfants spécialisé : par sa formation, sa sensibilisation aux enjeux de l’enfance en difficulté et par la garantie d’un suivi attaché à la personne du mineur.
Cette conception de la justice des mineurs est judicieusement énoncée par la parole d’un adolescent s’adressant à « son juge » : « vous pouvez me juger par ce que vous me connaissez »
Une réponse judiciaire réellement réparatrice : concilier une juste réparation des droits des victimes au temps de la maturation du mineur.
La justice des mineurs est souvent condamnée pour sa lenteur et son absence de visibilité.
Les magistrats déplorent surtout l’absence de maîtrise des délais et la confusion qu’elle entraîne.
Le temps est un moteur du traitement judiciaire de la délinquance des mineurs, mais les temps morts la discréditent.
Il est fréquent que l’institution donne un coup d’accélérateur auquel succédera une phase d’inertie. Ainsi par exemple un mineur peut être déferré au tribunal après la commission d’un délit et les mesures ordonnées se trouveront en attente d’exécution ou les délais de jugement s’allongeront faute de disponibilités.
Au delà de ces dysfonctionnements liés à des problèmes de gestion des ressources humaines et à un manque de moyens, la justice des mineurs est confrontée à la nécessité de concilier des rythmes différents lesquels correspondent à des besoins distincts.
Ainsi, la demande sociale exige une réponse rapide qui optimise les chances d’apaisement du trouble causé et de réinsertion du jeune concerné.
De son coté, la victime de l’infraction aspire légitimement à voir son préjudice réparé rapidement.
Elle souhaite d’une part avoir la certitude que son dommage est bien pris en compte et d’autre part en obtenir une réparation matérielle.
Enfin, le mineur a besoin, dans un premier temps, d’une confrontation rapide à son juge puis d’un second temps pour lui permettre d’évoluer et de démontrer sa capacité à réparer par la prise de conscience et par la réalisation d’actes concrets.
Il convient de préciser que ces intérêts distincts ne sont pas étanches.
Il n’est pas rare que la victime, impliquée dans un processus judiciaire souple, soit conduite à tenir compte de la situation d’une famille et manifeste son souci de l’éducation de celui qui lui a pourtant causé du tord.
La réforme proposée par l’AFMJF introduit le principe de la « césure » du procès et de la finalité réparatrice de la justice des mineurs.
Ainsi, dès la 1ère audience (dans un délai maximum de 2 mois), pour les affaires simples fréquentes dans les tribunaux pour enfants, le juge des enfants pourra trancher la question de la culpabilité et statuer sur les intérêts civils sollicités par la victime.
A l’issue de cette première étape le processus de mise à l’épreuve sera engagé. La victime ne sera pas tenue de s’y engager mais pourra être avisée des suites de la procédure.
Jusqu’à l’audience de mise en état (qui statuera sur l’orientation devant le tribunal pour enfants ou en audience de cabinet) le mineur sera engagé dans une démarche de réparation dans le cadre des mesures préjudicielles.
Consulter le schéma procédural proposé par l’AFMJF